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LE CONSENTEMENT

Un film de Vanessa Filho

Un film qui aurait dû rester un livre…

La jeune Vanessa n’a que treize ans quand, en 1985, elle rencontre l’écrivain renommé Gabriel Matzneff au cours d’un dîner parisien. En devenant très vite l’amante et la muse de cet homme qui ne cesse de réclamer d’elle un amour, un abandon et une confiance aveugles, elle tombe dans une mécanique d’emprise dont elle ne ressortira pas indemne…

Le Consentement film movie

Une petite confession pour commencer : ne pas avoir lu le livre-choc éponyme de Vanessa Springora constitue peut-être un frein pour l’auteur de ces lignes à paraître pertinent dans l’analyse du gros raté qui caractérise son adaptation sur grand écran. Cela dit, on partira du principe que l’intention du projet, balancée d’entrée sous forme de carton avant même que la moindre image n’apparaisse, se suffira à elle-même en guise de porte d’entrée. En somme, si l’on en croit ce carton d’introduction, le second film de Vanessa Filho ("Gueule d’ange") ne prétendrait pas être autre chose que le relais du point de vue de l’autrice, dont chacun des faits relatés dans son roman ont été depuis corroborés. Le premier problème que suggère une telle démarche est simple : si un film se veut la continuité du matériau littéraire qu’il adapte, qu’est-ce que le 7ème Art peut dès lors apporter pour en amplifier l’impact sur grand écran et au travers des conventions de découpage qui lui sont propres ? On ne grillera aucune surprise en disant que "Le Consentement" n’apporte rien, si ce n’est la certitude que certains livres – en particulier ceux qui évoquent des sujets extrêmement sensibles et douloureux – auraient tout à gagner à rester dans les librairies plutôt qu’à se voir relookés au format ciné de façon opportuniste. Et que, dans certains cas (comme ici), le poids des mots a plus d’impact que le choc des images.

L’histoire ô combien douloureuse de Vanessa Springora a beau être ici retranscrite avec beaucoup de fidélité (si l’on en croit les avis glanés ici et là), le fait de s’en tenir à une narration linéaire qui se borne à relater les faits avec une régularité a de quoi paraître suspect. Que Vanessa Filho ait pu – et ce n’est là que pure hypothèse – faire preuve d’un trop-plein de prudence au point de reculer sur d’éventuelles audaces narratives sujettes à la controverse, cela peut se comprendre. Mais qu’elle ait opté pour un déroulé scénaristique basique qui traite toutes ses scènes – y compris les plus périlleuses – à l’emporte-pièce, ça se défend déjà moins. Vu que c’était le point critique qui allait être soulevé à la découverte du film, la seule mise en scène des scènes de domination sexuelle entre Jean-Paul Rouve et la jeune Kim Higelin (treize ans dans l’intrigue, dix de plus dans la réalité) suffit déjà à couler le film, leur crudité et leur langueur paraissant aussi déplacées que la façon dont elles se répètent sans nuance tout au long de la narration. Tantôt pudique tantôt voyeuriste (parfois même les deux en même temps, ce qui est plus problématique), le film ne va certes pas jusqu’à enjoliver ce qu’il dénonce, mais échoue constamment à esquiver le spectre du scabreux et du malaise à force de s’efforcer de tout montrer, de tout dire, bref de forcer le trait pour ce qui est de mettre en scène ce qui relève de l’« infilmable ».

Ses deux acteurs principaux sont hélas au diapason de cette maladresse. Bien que téméraires et méritants en soi, Kim Higelin et Jean-Paul Rouve titillent souvent l’outrance dans leurs partitions respectives, l’une pour ce qui est de singer l’hystérie carabinée en contexte familial (ce qui ne la rend pas très crédible), l’autre pour ce qui est d’appuyer sa diction et d’abuser du look ténébreux jusqu’à donner à son rôle de pédophile des airs de simili-Nosferatu à lunettes fumées. De ce fait, le grotesque n’épargne pas le projet, et va même jusqu’à contaminer le reste des sous-intrigues, en particulier celle qui confronte la jeune Vanessa à sa mère dépressive et alcoolique (excellente Laetitia Casta), laquelle passe tout le film à jouer la girouette morale quant au fait de laisser sa fille mineure entre les mains d’un lettré mondain aussi pervers. Et si l’idée maîtresse du projet consistait – comme le suggère la scène finale – à se servir de l’écrit pour prendre à son propre piège celui qui l’utilise à des fins de séduction (d’abord) et d’humiliation (ensuite), la dimension illustrative du récit va à l’encontre du procédé. Quand on voit que les seuls mots prompts à contrer la logique comportementale répugnante de Matzneff proviennent ici d’une célèbre archive d’émission télévisée que Filho se contente de caser platement dans son montage, on se dit que les jeux sont faits.

Que le film s’achève par une scène décisive – la meilleure – qui aurait eu tout à gagner à être son début, ne fait qu’enfoncer le clou sur l’échec total du projet. Une fois l’âge adulte atteint sous les traits d’une Elodie Bouchez bien plus bouleversante en cinq minutes que Kim Higelin sur tout le reste du film, le récit de la jeune Vanessa se referme tout à coup sur les motifs d’écriture de son propre livre (celui que le film adapte), tout en rentrant dans le lard d’un cocon bobo-mondain si imbu de sa richesse (et pas qu’intellectuelle) qu’il en vient à estimer que la littérature autorise tout, même le pire. C’est là que "Le Consentement" dit tout du grand film libérateur qu’il appelait (et qu’il échoue) à être, à savoir un projet qui, en revenant peu à peu sur le vécu de son héroïne par l’intermédiaire de flashs mesurés et doublés d’une matière littéraire exclusivement travaillée par le son, aurait être l’équivalent cinématographique du livre de Springora. Un projet qui ne s’est hélas pas concrétisé : avec cet ersatz de téléfilm bêta qui illustre au lieu d’interpeller et qui récite au lieu de mettre en perspective, Vanessa Filho a livré un film inutile et plus embarrassant qu’autre chose.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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