L'ARBRE AUX PAPILLONS D'OR

Un film de Pham Thiên Ân

La caméra dort

Un soir, alors qu’il était en pleine séance de massage, Thien apprend la mort de sa belle-sœur dans un accident de moto en plein Saigon. Choisi pour ramener son corps dans leur village natal en compagnie de son neveu de cinq ans (seul survivant de l’accident), il investit dès lors la campagne vietnamienne pour se lancer à la recherche de son frère aîné, disparu il y a des années…

L'arbre aux paillons d'or film movie

Parler du « regard neuf » laissé par un jeune cinéaste débutant qui impressionne tout le monde dès son premier film, c’est une chose. Mais le faire tout en citant un large paquet de références extérieures auxquels le film en question fait immédiatement écho, c’en est une autre. Et disons-le tout de go, ça pose un peu problème. Énumérer tout ce qui accapare nos pensées cinéphiles durant les trois heures de "L’Arbre aux papillons d’or" (c’est dire si on a le temps !) est au fond assez simple. En vrac : du plan-séquence virtuose à la Bi Gan (hélas sans l’effet de distorsion temporelle qui donnait tout leur génie sensoriel aux films de ce dernier), du plan fixe étiré à n’en plus finir façon Tsaï Ming-liang, de la pose frimeuse et mélancolique en mode Diao Yi’nan, de l’hypnose exotique à la sauce Weerasethakul, et plus globalement le sentiment d’une intention de cinéaste tellement impossible à synthétiser concrètement que le recours à la durée réelle passe pour la seule esquive possible (amateurs masochistes des durées-fleuves made in Lav Diaz, suivez mon regard…). Aurait-on encore réussi à s’égarer dans une nouvelle proposition de cinéma auteurisant qui, à défaut de tout incarner par du contemplatif, en arriverait à se reposer exclusivement dessus ? Avec trois ou quatre bâillements par plan, on a déjà la réponse.

Le souci majeur de ce film, présenté depuis son triomphe à Cannes comme un voyage « <i>humain, sensible et mystique</i> », est de passer pas moins de trois heures à dérouler une note d’intention que l’image et les cadres, pourtant d’une indéniable splendeur, ne réussissent jamais à incarner. Reconnaissons que le premier des soixante-sept plans-séquences que contient le film avait pour lui un vrai potentiel pour traiter la narration comme une suite de fausses pistes ou de chemins de traverse. Avouons aussi qu’au début du film, ce long plan fixe sur une séance de massage, purement musicale et animée par des petits signes visuels et sonores (dont un téléphone qui vibre) sur les différentes échelles de plan, avait pour elle quelque chose de prodigieusement apaisant et prometteur. Mais une fois l’enjeu du retour aux sources posé et activé, on déchante très vite devant un film qui se regarde lui-même, qui ressent tout seul ce qu’il devrait propager chez autrui et qui fait mine d’avoir la tête dans les nuages à chaque raccord de plan. Au vu d’un montage dépourvu d’un quelconque relief sensitif et opposé aux effets d’une vraie mécanique de rêverie, on se dit que Pham Thiên Ân a un peu trop forcé sur la technique de l’élastique.

Les personnages ont beau avoir tout le temps d’exister et de cristalliser ce qui les anime, ils peinent à gagner en relief et en puissance émotionnelle, y compris quand les sentiments sont au cœur de l’enjeu. La caméra a beau se la jouer infrasensible de par ses choix de cadre et de mouvement, elle fonctionne en solo au lieu de nous laisser la traiter sous un angle subjectif – hormis le temps d’un plan-séquence où l’on suit une moto sur un chemin boueux. Même la prétendue mystique du scénario est en soi plus que discutable : il ne suffit pas de filmer une messe en plan fixe pendant quatre minutes montre en main ou de cadrer une crèche au détour d’un interminable travelling latéral pour que le découpage et la mise en scène soient au diapason de la note d’intention. Sans parler de cette tendance de plus en plus lassante dans le néo-cinéma asiatique de se croire profond en cadrant <i>ad nauseam</i> des silhouettes fixes qui prennent la pose, de face, de dos ou de profil, dans l’embrasure d’une porte ou à travers un miroir. Tout cela a finalement le chic pour confondre « quête de sens » et « quête du sens », tout en faisant de l’errance moins un motif qu’un pis-aller pour le spectateur. Le spleen pseudo-frémissant de la chose aura donc eu raison de notre patience, même si le choix de la Caméra d’or sera en l’état impossible à contester, Ce jeune cinéaste vietnamien a un œil, un vrai, c’est clair. Mais un œil « neuf », là, ça se discute.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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