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L'AMOUR À LA VILLE

Puzzle néoréaliste en demi-teinte

Six histoires presque vraies, réalisées par six grands metteurs en scène italiens sur la misère de l’amour à Rome, et traitées dans le ton du néoréalisme social…

L'amour à la ville film image

Au vu du projet proposé et constitué, on ne refera pas à nouveau le traditionnel speech sur la fragilité du film à sketches, proposant en général une unité thématique propice à l’éparpillement, la faute à des cinéastes n’obéissant qu’à leur propre désir créatif et à leur propre style. "L’Amour à la ville" pouvait peut-être rompre avec la malédiction, au vu de la personnalité de son initiateur : Cesare Zavattini, précurseur et théoricien du néoréalisme italien, mais surtout scénariste de renom qui avait entrepris, au début des années 50, d’éditer chaque mois une sorte de magazine filmé dont il souhaitait confier la « rédaction » à de jeunes réalisateurs. Seul le numéro-pilote de cet ambitieux projet aura finalement vu le jour : un large panorama en six parties de l’amour en milieu citadin, via les témoignages de non-professionnels sur un mode tour à tour drôle et tragique. Tout ça pour quoi, en fin de compte ? Une ligne narrative relativement fluide grâce à une mise en scène répondant aux mêmes critères de filmage d’un segment à l’autre, certes, mais tout de même un ensemble trop inégal, voire même décevant au vu du futur prestige de quelques-uns des réalisateurs invités pour l’occasion.

On passera très vite sur "L’Amour qu’on paie" de Carlo Lizzani, segment censuré et supprimé de la plupart des versions commerciales du film, et dont le concept d’un reportage sur les prostituées de Rome – avec voix-off informatives et interviews descriptives – a tôt fait de tourner en rond et de pâtir d’une absence de point de vue stylistique. Michelangelo Antonioni ne fait guère mieux avec "Tentative de suicide", même si son idée de faire se confier devant un vaste drap blanc quatre femmes ayant réchappé d’une tentative de suicide offre déjà l’embryon de son immense œuvre à venir, moins attachée à l’histoire à raconter qu’à la façon purement scénographique dont les choses sont disposées à l’intérieur du cadre. Un segment pépère, morne, oscillant entre témoignages face caméra et reportages sur le lieu du suicide, jusqu’à un constat final qui frise la tautologie (« Il faut vivre sa vie, qu’elle soit belle ou moche »). Dino Risi, de son côté, se contente de capter tendrement, sur fond d’une musique pas désagréable, les caractéristiques d’un "Bal du samedi soir" : ceux qui dansent, ceux qui sont éconduits, ceux qui restent assis, etc… On ronfle un peu, en dépit d’un montage souvent focalisé sur les gestes et les regards.

Le niveau se relève (un peu) avec les trois segments restants. D’abord avec le grand Federico Fellini, lui aussi au début de sa carrière de réalisateur, qui suit avec "Une agence matrimoniale" l’enquête d’un journaliste se faisant passer pour un millionnaire exubérant à la recherche de la femme capable de lui apporter l’équilibre tant désiré. Grâce à un ton légèrement saugrenu et à une jeune femme extrêmement attachante qui préfigure déjà l’héroïne des "Nuits de Cabiria", ce tout petit film dégage un charme certes volatil mais tangible. Associé au réalisateur Francesco Maselli, Cesare Zavattini s’offre lui aussi un segment à part entière, qui plus est le plus mélodramatique du film : "Histoire de Catherine", récit plutôt déchirant d’une fille-mère sans argent ni espoir, d’abord contrainte d’abandonner son enfant dans un lieu public puis déterminée coûte que coûte à le récupérer. D’un quotidien pauvre jusqu’à une condamnation avec sursis, ce combat pourrait presque nous faire croire que les frères Dardenne s’en seraient inspirés pour écrire et réaliser "L’Enfant" en 2007. Enfin, Alberto Lattuada ferme la marche avec "Les Italiens se retournent", ode à la sensualité des mouvements du corps féminin, où le réalisateur capture les réactions des hommes au passage de jolies femmes. Futile et figuratif, certes, mais ça permet quand même de finir ce long-métrage en demi-teinte sur une note de légèreté tout sauf feinte.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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