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KADAVER

Un film de Jarand Herdal

Après une guerre nucléaire mondiale, la population survit difficilement. Dans ce contexte post-apocalyptique, le propriétaire d’un immense hôtel propose, pour un prix modique, un spectacle assorti d’un repas. Leonora convainc son mari de participer à ce curieux événement…

Sortie le 22 octobre 2020 sur Netflix

"Kadaver" (littéralement « cadavre ») est un long métrage norvégien qui fait appel à de multiples influences. Mélange de dystopie, de film d’horreur, de film à énigme et de conte cruel, il développe une ambiance baroque, à la fois glauque et intrigante, qui peut rappeler à la fois "Delicatessen", David Lynch, Tim Burton ou d’autres films scandinaves tels que "Men and Chicken" ou "Norway of Life". Les déambulations dans cet immense hôtel installé sur le flanc d’une montagne rappellent aussi, bien évidemment, le "Shining" de Kubrick, voire à l’atmosphère de son dernier film, "Eyes Wide Shut".

Mais la référence la plus flagrante et la plus explicite, c’est "Alice au pays des merveilles" : la petite fille s’appelle Alice, son doudou est un lapin blanc, elle se perd dans les couloirs en ayant l’obsession de suivre un personnage bien précis… La grande différence, toutefois, c’est que cette Alice (qui peut aussi faire écho au "Petit Chaperon rouge") n’est pas l’héroïne du film, qui retourne l’histoire de Lewis Carroll en adoptant le point de vue de la mère, Leonora (référence à l’opéra "Fidelio" de Beethoven ?). Cette femme est une actrice, au chômage forcé dans ce monde décrépi, qui continue à croire dur comme fer dans le pouvoir de l’imagination pour survivre dans une société pleine de désespoir. Ainsi, c’est elle qui entraîne son mari (Jacob) et leur fille dans cet étrange hôtel où un homme prétend vouloir apporter du réconfort au peuple en leur offrant un spectacle et un repas, alors que tout le monde crève littéralement de faim depuis une guerre nucléaire qui a tout ravagé.

L’un des principaux enjeux (et intérêts) de "Kadaver" réside alors dans les limites poreuses entre réalité et imaginaire, les personnages n’étant jamais certains de comprendre ce qu’ils voient et vivent, ballotés entre l’originalité déstabilisante de ce qu’on leur propose (la « pièce » se déroule dans tout l’hôtel et ils peuvent suivre n’importe quel interprète), les mystères et les fausses pistes qui les font régulièrement douter, la peur qu’ils éprouvent mais qui cohabite avec leur volonté de retrouver un peu de divertissement et d’espoir…

La manipulation est permanente et se propage. Même si l’on devine aisément le but de cet obscur spectacle, on est soi-même, devant notre écran, perpétuellement en train de se demander où se situent les limites de cette mise en abyme : où est la part de mise en scène, puisque l’hôte de ces lieux a déclaré qu’elle était partout ? Si tout n’est pas subtil et si la cohérence n’est pas permanente, "Kadaver" est malgré tout efficace et intelligent, notamment dans la manière dont le film exploite les portes et autres ouvertures, créant un labyrinthe dans lequel personnages comme spectateurs se perdent. Ce décor tortueux matérialise une réflexion globale sur l’illusion qui s’avère pertinente et même magistrale dans certaines séquences. Le jeu sur les masques (qui peut évoquer "Us" de Jordan Peele) et la place des regards sont parmi les atouts de ce long métrage certes imparfait mais indéniablement captivant.

Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur

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