HOTEL SINGAPURA

Love Hotel

Imrah débute le 1er janvier comme femme de chambre à l’Hôtel Singapura. Ce soir-là, dans la chambre n°27, un groupe de musique est venu fêter le nouvel an, mais un drame se produit : le chanteur du groupe, Damien, meurt soudain d’une overdose. Bien plus tard, cette même chambre sera le théâtre de nombreuses scènes de rencontres, de liaisons et de déceptions amoureuses, le tout sous le regard bienveillant d’Imrah et du fantôme de Damien…

Il aura donc suffi d’une simple chambre d’hôtel à Eric Khoo pour réussir son pari : évoquer près d’un siècle de l’Histoire Singapourienne (des années 40 jusqu’à un futur hyper-technologique) par le biais d’une suite de sketchs amoureux pour le moins variés, élargis à divers genres (de la chronique sociale à la science-fiction en passant par la comédie trash et le mélo érotique) et circonscrits à un lieu unique. Un décor qui revêt ici le relief d’un personnage à part entière, tant son délabrement progressif – il suffit d’observer l’évolution de son papier peint – se cale à merveille sur la façon dont l’amour y est « consommé » et la notion de vie sentimentale envisagée par les individus. Et tandis que les clients de la chambre n°27 se succèdent tout au long du récit, un fil directeur se dessine par le biais d’un couple improbable : le fantôme d’un chanteur pop décédé par overdose et une jeune femme de chambre à peine embauchée – dont le premier était tombé amoureux. C’est justement le regard à la fois commun et éloigné de ces deux personnages qui porte en lui toute la charge émotionnelle du scénario.

Comme dans tout film à sketchs, on pourrait craindre que l’inégalité s’installe dans certaines parties du récit. Fort heureusement, le réalisateur de "Be with me" parvient à contrer cette appréhension avec brio, d'abord par la présence empathique de ce fantôme servant de lien intrinsèque entre les différentes sous-histoires, mais aussi par une vision du sexe qui, bien que fiévreux et/ou conflictuel, fait évoluer la sensualité extériorisée des corps vers une forme de tristesse intériorisée naissant des passions fuyantes. Aidé par une mise en scène délicate qui sait mettre en valeur chaque étreinte et en extraire une émotion durable, le film surprend surtout par la variété des situations et des personnes filmées : une relation homosexuelle condamnée d’avance à cause de l’occupation japonaise, un transsexuel sur le point de devenir une femme, une touriste coréenne qui enchaîne les amants alors que l’ami qui l’accompagne n’ose lui avouer son amour, une prostituée experte apprenant à de jeunes recrues l’étendue des « pouvoirs du minou », une femme mariée souffrant de ne pas pouvoir quitter son riche époux et ses enfants pour son amant, etc…

Chaque époque possède ici son style et sa lumière – l’une des premières scènes est en noir et blanc – sans qu’aucun segment ne souffre de la spécificité stylistique des autres. L’homogénéité du propos va de pair avec celle de la narration, même si un segment musical et kitsch à la Pedro Almodovar – où Josie Ho nous présente une façon bien à elle de jouer au ping-pong ! – semble jouer un peu les intrus dans l’équation, en raison de son humour graveleux et décalé. À vrai dire, on peut y voir simplement le désir d’Eric Khoo de signer une anthologie mêlée des genres et des tonalités, laissant au spectateur le soin de venir picorer ce qui lui plaît avec un art consommé du « trou de serrure » (épier ce qui se cache derrière la porte d’une chambre d’hôtel fait ici figure de leitmotiv). Ce film est comme un mille-feuille de diverses destinées où le sexe, tantôt sucré tantôt amer, laisse un goût persistant en bouche : la mélancolie. Celle qui, des années plus tôt, nous mettait les larmes aux yeux en découvrant les plus films de Wong Kar-waï, en particulier "In the mood for love" et "2046". Délicieux, tout simplement.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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