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HANEZU, L'ESPRIT DES MONTAGNES

Un film de Naomi Kawase

Autisme de l'animisme

Dans la région d’Asuka, la belle Takumi mène une double vie en compagnie de son mari Tetsuya et de son amant Kayoko, sculpteur de bois à l’écoute de la nature. Un jour, elle apprend qu’elle est enceinte, ce qui la poussera ainsi à faire un choix sur celui avec qui elle devra faire sa vie. Comme au temps des dieux qui habitaient les trois montagnes environnantes, la confrontation est inévitable…

Il aura suffi de trois films pour se familiariser avec le style de la réalisatrice japonaise Naomi Kawase. "Suzaku" en 1996, "Shara" en 2003, "La Forêt de Mogari" en 2007 : trois films travaillés par le rapport de l’humain à la nature et fortement parcourus par les thèses animistes ancrées dans la culture ancestrale nippone. Hélas, le souci que rencontrent souvent bon nombre de cinéastes arrivés au firmament de leur style, c’est de voir le spectre de la vanité flotter soudain au-dessus de leur caméra. Avec "Hanezu", on sent cette fois-ci chez Kawase une forme de repli sur soi-même, doublé d’une agaçante propension à privilégier la caméra à l’épaule au détriment d’une vraie stylisation.

Entièrement fondé sur un poème de l’anthologie Manyoshu rédigé au cours du VIIIème siècle, le scénario se résume très simplement à un triangle amoureux situé au cœur d’une communauté rurale. Le style Kawase semble donc bien là, de la confrontation méditative de l’humain avec les forces invisibles de la nature jusqu’au rapport mizoguchien entre la vie et la mort, en passant par des gros plans de visages qui transpirent le quotidien. Or, on s’aperçoit vite qu’une bonne partie de son âme s’est évaporée, et ce en raison d’une mise en scène quasi autiste qui ne suscite plus aucun trouble. La faiblesse de la réalisatrice est ici d’avoir radicalisé sa mise en scène vers une approche de plus en plus documentaire sans réussir à émouvoir ou à impliquer le spectateur, comme si le film préfigurait le désir inconscient de sa créatrice à vouloir limiter son audience à sa seule personne. Et même lorsqu’il s’agit pour elle de ressortir la valise des images d’Epinal propres à la culture nippone, tout ceci n’est ici réduit qu’à de petits détails éparpillés dans le cadre sans aucune utilité.

On n’en dira pas plus sur les voix off d’outre-tombe qui donnent dans le haïku paraphrasé, sur une poignée de scènes où l’on parle de cuisine ou de bricolage sans que l’on sache pourquoi (merci pour l’info sur la salade de tomates !) ou sur cette enfilade de symboles lourdingues qui fusent dès la scène d’ouverture située sur un chantier (sans parler du triangle amoureux assimilé à un trio de montagnes). Et au bout du compte, bon courage pour tenter d’épouser l’approche panthéiste souhaitée par la réalisatrice. Il faudrait dès lors conseiller à Naomi Kawase d’esquiver toute tentative de pensum vaniteux sans queue ni tête (parce qu’ici, on se demande parfois où elle veut en venir) et de renouer avec une forme de shintoïsme évanescent (ce qui touchait parfois au sublime dans "La Forêt de Mogari"), sous peine de la voir se retrouver comme cet oiseau en cage que l’on voit dans le film : un talent que l’on croyait capable de voler vers les plus hautes cimes, mais qui, au bout du compte, se retrouve bloqué dans un cadre délimité, incapable de se réapproprier ce qui faisait l’essence de son art.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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