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LA GRAINE ET LE MULET

Pure tension

Monsieur Beiji est un vieil homme fatigué qui travaille dans les chantiers naval, sur le port de Sete. Malmené par son employeur, il ne songe qu'à créer sa propre affaire: un restaurant à Couscous, sur une péniche...

Abtellatif Kechiche signe ici son troisième film, qui après le césarisé « L'esquive », devrait marquer la consécration de ce cinéaste d'une acuité et d'une efficacité hors du commun. Sur près de 2h31, le cinéaste français fait peu à peu monter une pression insoutenable, à l'image d'un film comme « Magnolia » de Paul Thomas Anderson, installant un drame familial aux composantes humaines multiples. Creuset d'une immigration multi-ethnique qui a bien du mal à s'intégrer malgré tous ses efforts, essuyant chômage, difficultés administratives et financières, la famille que Kechiche décrit par interpénétrations de portraits justes et saisissants, donne à voir une France aussi riche qu'inquiétante.

Car la France qu'il décrit est faite de petits intérêts (les autres restaurateurs), de médisances, d'individualités galopantes, d'inconsistance (le fils volage), de jalousies parfois mal placées, de jeux gratuits aux conséquences désastreuses (le vol de la mobylette par des jeunes de la cité), et de tracasseries sans fin (voir le parcours administratif usant et interminable). Intelligemment, Kechiche ajoute à un fond social chargé, des tensions familiales à la limite du supportable, faites de recompositions et de scissions que chacun gère à sa manière, de la déchirante belle fille venue des pays de l'est, à l'ex femme mise à l'écart. Autour de l'enjeu que constitue le restaurant, et sa décisive soirée d'inauguration, les tensions cristallisent, trouvant leur apogée dans une scène de danse du ventre

Mais si le film est une telle réussite, c'est aussi surtout grâce à son casting et principalement à ses jeunes actrices, absolument renversantes dans leurs colères et indignations. Récompensée du prix du meilleur jeune espoir au Festival de Venise, Hafsia Herzi excelle en jeune fille révoltée par le mépris des autres, elle même pleine d'a priori dus à l'inexpérience. Pétillante, elle illumine par son phrasé chantant cette histoire d'une noirceur incroyable. Son alter ego du côté de la nouvelle famille, Farida Benkhetache, ne démérite pas non plus, débordée par le poids de ses taches quotidiennes. Car Kechiche a su offrir à tous ses interprètes un parler vrai, aussi cru que sensé (voir l'hallucinant dialogue sur le prix des couches à l'année!), que chacun trouvera autant amusant que révélateur. Un film coup de poing sur l'intégration, tendre et saisissant, qui a reçu un très mérité Prix spécial du Jury au dernier festival de Venise.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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