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ANTIGONE

Un film de Sophie Deraspe

Transposer une tragédie

Antigone est la petite dernière d’une famille kabyle réfugiée à Montréal. À 16 ans, elle doit choisir entre la nationalité canadienne et la vie de son frère Polynice, mis en prison suite à un contrôle de police ayant conduit à la mort de leur frère Étéocle…

Antigone film image

Comme Anouilh avant elle, Sophie Deraspe se saisit de l’une des histoire les plus mythiques du panthéon Grecque et en livre une magnifique transposition. Il ne s’agit pas d’une nouvelle version d’Antigone, mais de la même histoire qui se continue à l’époque actuelle, avec de nouveaux problèmes, objectifs et acteurs, mais toujours les mêmes enjeux et les mêmes types qui s’affrontent, les mêmes lois qui s’opposent : celles du cœur et des morts, face à celles de la cité et des hommes.

Nahéma Ricci livre une performance incroyable et déchirante. Elle est la jeune fille virginale et forte, intransigeante et inflexible, qui fera tout pour sauver son frère et pour protéger sa famille. Elle est aidée par la quasi mutique Rachida Oussaada, nouvelle Ménécée revenue de l’enfer kabyle où elle a laissé les cadavres de son fils et son épouse. Elle trouve aussi du soutien auprès d’Antoine Desrochers qui est le nouvel Hémon, son amant artiste, et auprès du père de ce dernier, Christian, nouveau Créon, le politique.

Le film s’ouvre, bascule et se termine avec le Choeur. Pour transposer le Choeur antique, Sophie Deraspe utilise les réseaux sociaux. Elle en fait les nouveaux vecteurs des rumeurs de la cité. Elle abandonne le chant lyrique pour laisser place aux graffs, à la danse, au rap, au photomontage, qui déforment l’image d’Antigone, la détruise presque, pour ensuite la relever, et faire d’elle un symbole.

A la fois très intuitif et très complexe, le film reprend, dans sa forme et son ton, le caractère de sa protagoniste. Rien n’est laissé au hasard dans cette œuvre extrêmement maîtrisée. Chaque palette de couleur, chaque saison, chaque lieu, ont été choisis avec soin pour faire comprendre et surtout sentir la vie intérieure d’Antigone et la bataille déchirante qui se livre en elle. Mais tout cela est fait avec tant de maîtrise que le spectateur est happé. Tout est évident, compréhensible. Dès lors le film, pourtant d’un réalisme extrême, peut se permettre des séquences totalement mystiques qui ne choqueront personne.

Il n’y pas de fantastique dans "Antigone", le destin n’est pas une force incarnée, une épée de Damoclès. La fatalité ne frappe pas un grand coup. Pourtant, il y a quelque chose. Le groupe a un pouvoir, la volonté aussi. C’est autour de ces invisibles, de ces forces sans consistance, que tous les destins de ce film sont liés. Ces forces qu’on appelle des lois.

Thomas ChapelleEnvoyer un message au rédacteur

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