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AMERICA

Un film de Claus Drexel

Zona Arizona

En novembre 2016, les États-Unis s’apprêtent à élire leur nouveau président. Claus Drexel effectue une plongée au cœur de l’Arizona, à la rencontre des habitants d’une petite ville traversée par la Route 66, les héritiers cabossés du rêve américain qui livrent leurs espoirs et leurs craintes…

Il fallait bien s’y attendre : comme à chaque nouveau mouvement d’indignation sur la politique américaine, les documentaires flattant le point de vue opposé se mettent soudain à pulluler. Reste que celui-ci présente une caractéristique qui échappe à ce constat : il n’est pas fait « en réaction à », mais « en prévision de ». Accompagné de son ami photographe Sylvain Leser, le réalisateur Claus Drexel a choisi de placer sa caméra dans une petite bourgade du désert de l’Arizona, presque un mois avant les élections présidentielles de 2016. Objectif : recueillir des témoignages de l’état d’esprit des gens à une époque où Donald Trump, plus showman qu’animal politique, était soudain devenu le candidat républicain. Le résultat est un condensé d’opinions divergentes, aussi bien sur Hilary Clinton que sur Trump, mais avec – on le constate très vite – une haine nettement à l’avantage de Clinton, qualifiée par certains – dont un pasteur illuminé – de meurtrière ou de traîtresse à la nation. Avant et après l’élection, tout tient ici dans un recueil de témoignages d’un petit coin de l’Amérique profonde, où le réalisateur exclut toute prise de position et s’en tient à une objectivité royale. Une objectivité qui, on le précise, est avant tout créatrice d’empathie, comme il avait pu en faire la démonstration dans son précédent film "Au bord du monde" (centrée sur la vie nocturne des SDF parisiens).

Avec un sens du cadrage redoutablement pictural, où la perspective choisie cadre aussi bien les visages au premier plan que les vastes étendues américaines à l’arrière-plan, Claus Drexel réussit le tour de force d’échapper aux diktats formalistes du documentaire à visée objective. Le réalisateur enregistre certes des témoignages concrets et actuels, mais on sent que son regard est focalisé sur ce qu’il y a derrière tout cela, à savoir un cadre délabré et dévasté où le seul espoir – sans doute illusoire – consiste à garder un œil vers l’horizon. Filmer les laissés-pour-compte de l’Amérique dans ce décor mythique où ils ont pris racine, cela revient à laisser la parole à ceux qui, au travers des propos opportunistes de Trump, croient d’autant plus à un retour de la puissance de l’Amérique qu’ils en ont gardé l’esprit de ses cowboys d’antan (porter une arme et l’utiliser pour se défendre est pour eux un devoir absolu). Un territoire où ténacité et désespoir se conjuguent, où les descendants d’une Amérique conquérante campent sur leurs positions dans un amas de bidonvilles poussiéreux et de vestiges rouillés. Drexel ne les juge pas, mais réussit à en faire de vrais héros de cinéma : parfois hilarants, souvent inquiétants, toujours fascinants. Un petit bout de nature (humaine) dans une autre nature (minérale) qui, malgré elle, les a rendus prisonniers d’elle-même et d’une Histoire en marche.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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