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ALOIS NEBEL

Un film de Tomas Lunak

Un sublime noir et blanc pour une sombre histoire venue de l'ancienne Tchécoslovaquie

1989, en Tchécoslovaquie. Alois Nebel, la cinquantaine, est chef de gare à Bily Potok. Il aime son métier mais ne supporte pas les jours de brouillard durant lesquels il est sujet à d'épouvantables hallucinations, issues de souvenirs de la seconde guerre mondiale. Pour l'aider à s'en sortir, il est envoyé dans un asile...

Découvert hors compétition en séance de minuit au Festival de Venise 2011, ce dessin animé tchèque, en noir et blanc, est intitulé « Alois Nebel », du nom du chef de gare destitué qui en est l'anti-héros. Se déroulant en 1989, le film a pour toile de fond la chute du bloc communiste. Son scénario nous montre comment un système peut broyer un homme, par un passage en asile, un emploi perdu au profit d'un incompétent « plus proche du parti » et une bureaucratie incapable de s'intéresser aux problèmes particuliers. Heureusement, l'amour sera au rendez-vous, avec une dame pipi rencontrée à Prague, faisant basculer le film dans une dernière partie un peu moins noire.

L'ouverture, avec la traque d'un homme qui court, tentant de passer la frontière de nuit, est efficace. Elle rappelle celle de « Valse avec Bachir » auquel le film ressemble étrangement dans sa représentation graphique et son animation des personnages (utilisation identique d'aplats de couleur, dotés d'ombres, avec seulement deux ou trois niveaux de nuances, mêmes fluidité et réalisme des déplacements...). Cet homme recherché (le muet), capturé par la suite, se retrouvera dans le même hôpital psychiatrique que le personnage principal, Alois Nebel, où il fera l'objet de nombreuses tortures, qui ne nous sont nullement épargnées à l'image. Perturbé par un événement survenu en 1945, alors qu'il n'était encore qu'enfant, Alois ne semble pas réellement perdre les pédales. Et le réalisateur nous dévoile par bribes les événements qui le hantent, liés à la déportation.

La fascination qu'exerce ce récit, doit beaucoup au traitement des décors, impressionnants de précision, valorisant chaque ombre, chaque lumière en déplacement (des phares dans la nuit qui éclairent les contours des arbres, un train qui fait briller des rails...), tout en restant d'ordre schématique, ce qui rend l'image à la fois lugubre et séduisante. La qualité de l'animation, est notamment liée au principe même de sa conception, le « rotoscoping », procédé datant de 1915, le film ayant d'abord été tourné avec de vrais acteurs, avant de faire l'objet d'un dessin par-dessus la pellicule (contrairement à « Valse avec Bachir » qui était fait de dessins purs). Selon l'auteur, cela a permis de rester proche de la trilogie des bandes dessinées dont est adapté le film.

Jouant sur l'aspect hypnotique de certains passages, avec le décompte méthodique des horaires de passage des trains dans différentes gares, l'auteur amène avec douceur les transitions vers les cauchemars de Nebel. Intense malgré son rythme plutôt lent, le film trouve son climax lors d'une nuit d'orage, ayant pour conséquence diverses inondations et le blocage de certains personnages, permettant ainsi au dessein du personnage muet de prendre place. Comme si après le brouillard (« nebel » en allemand) l’accalmie revient et la vie (« leben » en allemand et verlan de « nebel ») peut enfin reprendre, loin des fantômes d'un honteux passé. « Alois Nebel » est donc un beau projet, mêlant récit captivant, animation hypnotique et personnages complexes. Espérons que cette œuvre forte et touchante trouve le chemin des salles en France.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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