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Cannes 2018

cannes 2018 - Bilan global

Il n’est jamais aisé de tirer le bilan d’un Festival tel que Cannes, tant la diversité des œuvres présentées est immense, faisant le grand écart entre film art et essai pur et dur tel "Ayka", spirale infernale pour une jeune immigrée kirghize en Russie, un film d’espionnage coréen captivant "The spy gone north", une fable sociale dépassant l’air du temps venue d’une Italie sinistrée ("Heureux comme Lazzaro"), des films de science fictions comme "Solo : a star wars story" ou "Farenheit 451", et une comédie grand public signée d’un auteur enfin à son sommet, "En liberté" de Pierre Salavadori. C’est finalement le japonais Kore-Eda qui a remporté une méritée Palme d’or, avec "Une affaire de famille", film synthétique de son œuvre, permettant de relativiser la notion de famille, avec toujours une oscillation entre drame feutré et comédie légère, comme seul lui est capable d’en produire. Nous allons tout de même nous prêter à l’exercice, de manière très synthétique cette année, au travers d’un seul et unique article.

Des découvertes de minorités

Les minorités ont fait l’objet de différents focus cette année, au travers de films souvent graves, décrivant leur exploitation, leur mise à la marge ou leurs croyances mises à l’épreuve du monde moderne. On citera ici le colombien "Les oiseaux de passage", qui ouvrait la Quinzaine des réalisateurs, contant la naissance des cartels colombiens. Il prenait la forme d’une étonnante peinture tribale, esthétiquement saisissante et aux éclairs de violence impressionnants. "Los silencios" nous immergeait au sein d’une peuplade délocalisée, montrant son rapport aux fantômes des disparus. Quant au film "Les morts et les autres", parabole sur les croyances de peuples indigènes du Brésil, que la société tient à l’écart, tout en les privant de leurs racines, il a remporté côté Un certain regard, un prix fort mérité.

"Capharnaüm" de la libanaise Nadine Labaki, aura sans doute été le coup de cœur des festivaliers, proposant une immersion dans le monde des enfants de la rue, délaissés ou exploités par leurs parents. Un film qui a obtenu le Prix du jury. Récompensé lui à Un certain regard, "Border", film nordique, sera tout de même classé dans cette catégorie, malgré l’étrangeté de la minorité ici décrite, à partir des dons olfactifs d’une douanière pas comme les autres. Enfin, "Ayka" (prix d’interprétation féminine pour Samal Yeslyamova) s’intéressait au sort des immigrés kirghize en Russie, entassés dans des logements insalubres et exploités.

La situation politique et sociale

Comme chaque année, les sujets géopolitiques n’ont pas manqués, du mensonge institutionnel dans l’éprouvant "Donbass" de Sergei Loznitsa à "Another day of life", impressionnant documentaire sous forme de film d’animation, qui retrace de manière percutante les manœuvres de plusieurs pays derrière la guerre civile en Angola, en passant par "Teret", road-movie contemplatif questionnant la résignation face aux exactions du régime Serbe durant la guerre en ex-Yougoslavie.

Mais c’est surtout le contexte social et l’exploitation des travailleurs qui ont été évidence, au travers de films aux formes cependant très diverses. "Heureux comme Lazzaro" a reçu le prix du scénario, avec sa belle peinture onirique de l’exploitation des classes laborieuses et de la misère ambiante. Un film dont la construction maline permet de montrer que rien ne change. "En guerre" a marqué les esprits, livrant une percutante vision du devenir des ouvriers d’une usine, dans un monde de délocalisations et de fermetures. Une nouvelle occasion pour Vincent Lindon de livrer une impressionnante prestation. "Dogman" (prix d’interprétation masculine pour Marcello Fonte) nous a offert une nouvelle plongée italienne dans le monde des petits mafieux, au travers des yeux d’un toiletteur pour chien persécuté, qui décide de se venger. Et enfin, "Amin", nouveau portrait de travailleur déporté et d’une difficile intégration, signée Philippe Faucon, a ému bon nombre de spectateurs.

La situation des homosexuels et des personnes transgenres

Abordant les discriminations de manière un peu différentes, le film kenyan "Rafiki" et ses deux actrices lumineuses a offert une bouffée d’espoir au festival, tandis que la prostitution au masculin, teintée d’une vascillante lueur d’espoir amoureux étaient au centre du très viscéral "Sauvage". On a aussi, sur un sujet proche, pu découvrir une chronique très séduisante d’un amour voué à disparaître dans l’émouvant "Plaire, aimer et courir vite" de Christophe Honoré, avec un Vincent Lacoste épatant. Le flamand "Girl", bouleversant portrait d’une jeune transsexuelle, qui souhaiterait que son corps change plus vite et lui permette de devenir ballerine, a transporté un public au départ interrogatif. Tandis que "Euforia" dressait le décevant portrait d’un homosexuel plein aux as et insouciant, qui réapprend la responsabilité au contact de son frère malade. Un beau rôle cependant pour Riccardo Scarmachio.

Le traitement réservé aux femmes

La situation de la femme était aussi au centre de quelques films, tels "Les filles du soleil", très décevant film sur les combattantes kurdes, contant en flash-back les violences subies alors qu’elles étaient prisonnières de l’État islamique, "3 visages", nouveau Jafar Panahi, récompensé du prix du scénario pour trois portraits mêlés de femmes iraniennes, à la liberté toute relative, ou encore "Petra", tragédie de Jaime Rosales, assez envoûtante, dans laquelle une jeune femme subit de multiples humiliations de la part de l’artiste qu’elle croit être son père.

Des histoires d’amours contrariées

Les motifs de contrariété ont été nombreux, risquant de faire échouer de nombreuses relations amoureuses, naissantes ou accomplies. Ces relations furent contrariées par la maladie dans "Plaire aimer et courir vite" d’un Christophe Honoré invitant à vivre vite, par une frontière dans le froid noir et blanc de "Cold war" (prix de la mise en scène), relatant l’éternelle séparation d’un couple, aux rencontres furtives, de part et d’autre du rideau de fer, par un temps elliptique dans la fresque du chinois Jia Zhang-Ke, "Les éternels", avec l’attraction inconstante d’un couple, entre sacrifice de la femme et lâcheté de l’homme.

Plus particuliers, "Asako" livrait le beau portrait d’une jeune femme tombant amoureuse du sosie d’un disparu, alors que "Burning", film coréen, brouillait les pistes entre paranoïa amoureuse et enquête sur une disparition. Mais la plus belle émotion est venue du film "Le poirier sauvage", fresque de Nuri Bilge Ceylan, autour d’un jeune auteur ne parvenant pas à se faire publier et subissant le poids des conventions sociales de son pays. Un film qui donne lieu à une des plus belles scènes d’amour jamais filmées, sous un poirier au feuillage balayé par les vents que l’on ressent jusqu’au fond de la salle.

Des œuvres étranges et fascinantes

Enfin, il faut bien l’avouer, si ce 71e Festival de Cannes a été une réussite, c’est avant tout grâce à une série d’oeuvre particulièrement singulières, sur la forme comme sur le fond. Il y a eu d’abord le choc "Diamantino", film portugais autour d’une figure de footballeur idiot, permettant d’aborder sous forme de comédie surréaliste des sujets comme les migrants, l’évasion fiscale, le nationaliste montant, ceci avec un humour mordant. On a découvert avec délectation "Woman at war", surprenant portrait de femme activiste islandaise, mêlant humour noir et décalage auditif. On aura tremblé devant "Meurs, monstre, meurs", étrange allégorie argentine sur la frustration dans des contrées reculées et le démon qui se terre en chacun de nous. On aura rit jaune face au portrait de serial kiiller comme seul Lars Von Trier pouvait en livrer avec "The House that Jack built". Un film mêlant humour très noir, éclairs de violence et une psychologie mise en parallèle avec l’œuvre même de l’auteur. On se sera laisser happer par "Climax" de Gaspar Noé, aspiration vers une nouvelle spirale infernale, alors qu’un groupe de danseurs a visiblement été drogué à son insu. Enfin on ne cachera pas notre surprise face à "Ce magnifique gâteau", fascinant moyen métrage offrant un regard décalé sur la colonisation belge. On en redemande !

Des comédies à fort potentiel

Enfin, une fois n’est pas coutume, saluons l’audace des sélectionneurs pour avoir osé faire la part belle aux comédies, notamment françaises dans les différentes sections. Ainsi, "Le grand bain" aura déplacé les foules. Cette comédie douce-amer à l’anglaise signée Gilles Lellouche, avec un casting redoutable de nageurs en herbe empêtrés dans leurs problèmes de tous les jours aura cependant partagé la rédaction. "En liberté" comédie rythmée de Pierre Salvadori, aura été le grand éclat de rire de ces quinze jours. Usant d’un réjouissant comique de répétition, elle se centre sur une femme flic essayant de racheter les exactions de son défunt mari qu’elle découvre en policier ripoux.

"Le monde est à toi" propose lui le rêve de réussite d’un enfant de la banlieue, qui doit faire face à l’irresponsabilité de son entourage, notamment à une Isabelle Adjani qui joue une mère voleuse. "Blakkklansman", brûlot signé d’un Spike Lee assagi, qui décrit l’incroyable « infiltration » d’un policier noir américain dans le KuKluxKlan, est reparti avec un Grand Prix soulignant l’actualité de ses messages. Et enfin, "Guy", tendre et émouvant portrait d’une célébrité sur le retour, filmée sous forme de faux documentaire par un Alex Lutz qui se donne également le rôle principal, aura marqué la fin du festival.

Rendez-vous l’année prochaine !

Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur