LES FANTÔMES D'ISTANBUL

Un film de Azra Deniz Okyay

Une dernière danse avant la nuit

Alors que la Turquie est au bord de l’implosion sociale en raison de multiples pannes de courant, quatre habitants d’Istanbul qui tentent de survivre chacun à leur manière vont voir leurs destins respectifs se croiser au cours d’une nuit : une jeune danseuse activiste et rebelle, une mère de famille dont le fils est en prison, une artiste féministe et un trafiquant en immobilier…

Les Fantômes d'Istanbul film movie

Une fois n’est pas coutume, commençons par la fin. Dans une ruelle anonyme d’un Istanbul plongé dans un black-out total, une jeune danseuse rebelle se met soudain à exécuter de sensuels mouvements de danse sur fond de l’électrique N.E.M. du groupe français Las Aves, en agitant son smartphone allumé dans tous les sens – ce qui en fait presque une lampe-torche à travers l’obscurité – et le tout filmé par une caméra portée qui accompagne la danse en jouant des décadrages à gogo. Cinq minutes de magie pure qui, à elles seules, résument tout le film en plus de constituer la seule scène que l’on en retiendra vraiment. Le fait que tout ce qui la précède tombe fissa dans l’oubli ne repose que sur la nature même du projet de la jeune réalisatrice Azra Deniz Okyay : tisser un portrait authentique de la Turquie contemporaine au travers d’une idée métaphorique qui, à bien y regarder, se suffit à elle-même et ne tire aucun soutien de toutes les micro-histoires qui sont à sa périphérie. On sent bien qu’avec un autre parallèle symbolique que celui proposé ici (une surtension génératrice d’un black-out électrique = une menace d’obscurité et de chaos qui plane sur la Turquie contemporaine), les quatre histoires du film auraient là aussi pu trouver racine. C’est un signe qui ne trompe pas.

Faire mine de lorgner sur un terrain déjà labouré par les regards experts de Paul Haggis ("Collision") et d’Alejandro Gonzalez Iñarritu (première période) scelle le sort d’un film qui, sous couvert de prendre le pouls de la Turquie d’aujourd’hui, traite chacun de ses destins comme des fonctions, pour ne pas dire des utilités narratives soulignant le parti pris général (des individus pleins de vie et de lumière qui tentent d’échapper à cette « nuit » promise par les troubles politiques) au lieu de l’enrichir et de le complexifier par des angles subversifs. Les choix de mise en scène, bénéficiant pour le coup d’un joli travail formel et stylisé, se contentent de charmer l’œil à défaut de donner naissance à de vraies images virulentes – on peine à dénicher ici et là les signes de la dystopie promise par le synopsis du film. Quant au choix de la narration éclatée et non-linéaire, il frise carrément la fausse bonne idée, le récit ne faisant dès lors que cumuler des poncifs sociétaux à la manière de simples cases à cocher, du féminisme aux migrants en passant par les rassemblements LGBT. Tout tient dès lors sur un scénario inutilement tarabiscoté qui passe du coq à l’âne sur une ligne thématique cousue de fil blanc. Jusqu’à cette fameuse danse finale, sorte de fenêtre mentale répondant aux barreaux de la cage urbaine, qui nous laisse donc à penser qu’un court-métrage aurait amplement suffi.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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