UN JOUR DE PLUIE À NEW YORK

Un film de Woody Allen

Une petite pluie, ça ne peut pas faire de mal…

Gatsby et Ashleigh, deux étudiants de Yardley, décident d’aller passer un week-end en amoureux à New York. Hélas, sous un ciel agité où la pluie succède au beau temps, leur planning commun va être sacrément bousculé, les poussant à enchaîner chacun de leur côté des rencontres fortuites et des situations insolites…

Un jour de pluie à New York film image

Vous l’avez remarqué : en ce moment, la météo n’est pas au beau fixe. Nuages stationnaires, pluie battante, température en baisse, peut-être même le moral à zéro dès le début de l’automne, qui sait… La potion miracle existe : un petit tour dans une salle de cinéma qui diffuse "Un jour de pluie à New York". Au lieu de rester chez soi à se réchauffer devant une tasse de thé, on a ici droit à du champagne sur pellicule, avec les mêmes effets secondaires : d’abord une délicate ivresse qui monte crescendo, ensuite une sorte d’état second qui entame avec l’hilarité et la mélancolie un imprévisible concours de yo-yo, enfin un cœur revitalisé et solarisé qui gonfle soudain comme une montgolfière. Tant et si bien qu’en sortant de la salle sous une pluie battante, on a soudain grave envie d’imiter Gene Kelly.

On exagère à peine, parce que ce nouvel opus de notre Woody Allen adoré, quand bien même il nous offre tout ce que l’on attend désormais de lui, s’impose comme le plus drôle et le plus jubilatoire qu’il ait tourné depuis… depuis quand, au fait ? D’aucuns ne manqueront pas de ne voir dans cette bulle new-yorkaise qu’un opus mineur et récréatif au regard des mélodrames cruels et fatalistes dont le cinéaste a le secret. Ils auront bien tort : la légèreté dont peut faire preuve Woody dans certains de ses films laissait souvent moins transparaître la cruauté de la condition humaine qu’un précis d’improvisation hédoniste, où la candeur bat à pleine couture le cynisme, où l’humour dérègle le pessimisme, où le soleil rend sa lumière romanesque toujours plus irradiante à travers les gouttes de pluie, où le contraste est signe d’enthousiasme. Et quand la mécanique est à ce point imparable, on rend fissa les armes.

La dernière fois que Woody avait peut-être su concocter un tel élixir du bonheur, c’était avec "Minuit à Paris". Rien d’étonnant à ce qu’"Un jour de pluie à New York" s’impose en quelque sorte comme son pendant new-yorkais, sa relecture « à domicile », où le moindre début de « passion » (de sexuelle à intellectuelle, on épuise ici le champ lexical de ce mot…) chez tous ses personnages – jeunes ou moins jeunes – s’impose comme un éloge déréalisé du flirt, avec une rencontre incongrue qui en amène une autre selon un mouvement perpétuel. Presque un rêve qui paraît plus vrai – et plus beau – que la réalité.

On a beau se sentir familiarisé de tout ce qui nous tombe sous le pif (Timothée Chalamet en clone rajeuni de Woody, un casting qui cause dandy-intello comme lui, un regard caustique sur le microcosme ciné et la Big Apple bourgeoise, etc…), voici une comédie douce-amère où l’amertume finit toujours par se laisser gagner par la douceur – c’est en général le contraire chez Woody. La vie, cette mécanique bizarre où la plus forte des surprises n’arrive jamais par hasard, acquiert ici la dimension d’un jeu où l’on avance moins par un programme tout tracé que par un simple jeu de dés. La journée prévue par nos deux jeunes héros amoureux a tôt fait de partir en sucette, la faute à des imprévus qui font s’effondrer toute hypothèse de vie tracée comme une rangée de dominos. Le hasard prend le dessus, la confusion tient les rênes, les caractères se dénudent, les certitudes s’effondrent, les faux-semblants semblent vrai. Pendant ce temps-là, à l’extérieur, la pluie tombe. Plus ou moins fort. Et à l’intérieur, les croyances fondent. Plus ou moins fort.

Au centre d’un casting euphorisant qui n’en manque jamais une pour ouvrir bien grand la valise à répliques vachardes et à aphorismes savants, la divine Elle Fanning fait figure de rayon de soleil déglingué. En oie blanche de l’Arizona qui s’extasie devant toutes les rencontres incroyables qui s’offrent à elle en moins de vingt-quatre heures, la jeune actrice de "The Neon Demon" sème la zizanie à elle seule dans une trame narrative qui aurait pu paraître cousue de fil blanc et donne ainsi vie à l’un des personnages les plus délirants de la mythologie allenienne. En somme, presque une sorte de cousine lointaine d’Annie Hall qui aurait soudain lézardé sa monotonie d’étudiante par un cocktail d’alcool, de fumette, de gaz hilarant, de hoquet nerveux et de drague en cascade.

Côté masculin, c’est le quiproquo mouvementé et la réflexion désabusée qui activent l’errance de notre magnifique jeune héros (ironiquement nommé Gatsby !) dans une ville qui a décidément pris le dessus sur ceux qui s’y meuvent. Si histoire il devait y avoir durant cette journée, elle n’était pas écrite, ou alors elle a débuté sans prévenir. Et il faudra ici le choc final d’une révélation maternelle plus dévastatrice tu meurs pour se convaincre une fois de plus qu’au fond, la vie n’a ni sens ni mode d’emploi. Ce constat existentialiste et taquin, Woody nous le ressort à chaque film pour mieux le décliner au travers d’un nouvel engrenage choral – un vrai « changement dans la continuité » qui rend caduque ce vilain reproche de le voir soi-disant refaire toujours le même film.

On est habitué à l’entendre, on avait souvent réussi à le ressentir viscéralement, mais avait-il déjà réussi à le rendre aussi prégnant dans un cadre de comédie légère ? De mémoire, seuls ses films les plus cruels et les plus sophistiqués – "Match Point" et "Magic in the Moonlight" pour prendre les deux meilleurs exemples récents – avaient su en faire la démonstration. Peut-être que le charme juvénile qu’il offre ici est pour beaucoup dans cette identification immédiate qui s’opère vis-à-vis de ces divins personnages, de leur quête d’absolu qui guide chaque échange, de leur désillusion quand la malchance fait chuter le fantasme de son piédestal, de leur empathie commune lorsqu’il convient de ne plus se voiler la face et de mettre cartes sur table.

Redevenu solaire, le jeu peut alors se relancer. Et qu’importe si le ciel redevient tout à coup chargé : sous cette délicieuse petite pluie qui tombe du ciel aussi facilement qu’un coup de foudre, il n’y a que l’amour de l’Autre (l’être aimé croisé par hasard ou ces personnages à l’écran qu’on voudrait suivre au-delà du générique de fin) qui vaille le coup d’être appréhendé, savouré et filmé. Tant pis si l’on finit avec les vêtements – ou les yeux – mouillés, les choses n’en sont que plus romantiques, et on ne se concentre que là-dessus. Les nuages, eux, peuvent attendre. Ou carrément aller se faire foutre.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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