HORS SATAN

Un film de Bruno Dumont

CONTRE : Niveau -2 - Vade retro Satanas

Un coin paumé, proche de la Manche. Du vent qui souffle continuellement. Un village isolé. Un type, mi-vagabond, mi-sorcier, qui flingue d’autres types et baise une randonneuse possédée. Un incendie qui ravage la campagne, et qu’une jeune fille éteint en marchant le long d’une ligne étroite au centre d’un étang. Un road-movie sans road ni véhicule. Quelqu’un a compris quelque chose ?

Il est évidemment provocateur de réduire le film de Bruno Dumont à ce résumé elliptique et ironique, mais n’est-ce pas la juste réponse à un long-métrage également provocateur et elliptique ? « Hors Satan » possède sans doute une quantité de qualités intrinsèques qu’une grosse partie de la presse spécialisée devrait encenser, toute à sa joie de pouvoir remplir ce film stérile d’un hypothétique contenu latent. Mais l’honnêteté intellectuelle oblige à préciser qu’envoyer un spectateur dans une salle voir « Hors Satan » est ce qui ressemble le plus à un attentat culturel. Sauf à désirer trouver un siège bien chaud pour pouvoir flâner et penser à tout autre chose.

« Hors Satan » est traversé d’événements et de protagonistes insaisissables qui rythment un récit évoluant par métaphores et allégories. Répondant à un espace ouvert qui produit plus de sons que d’images, la fiction est saturée de vides et d’absences : rares personnages, rares dialogues, rares informations transmises au spectateur. Encore un peu plus d’épuration et Dumont rendra prochainement une copie blanche, où il faudra remplir tous les trous. Nous n’y sommes pas encore : « Hors Satan » est criblé de ces trous narratifs et esthétiques, mais on devine néanmoins, derrière la provocation du vide, une tentative de production d’émotion et de logique interne.

Son héros, dénué de nom, erre dans les campagnes en commettant coup sur coup miracles et assassinats de sang froid. La fille qui l’accompagne, non identifiée non plus, le suit après qu’il a tiré à la carabine sur son père, probablement coupable d’obscénités sur sa progéniture. Tout en déambulant derrière le vagabond, la fille exprime son désir de faire l’amour avec lui. Une suite de gros plans cadre leurs visages ingrats et leur mine déconfite. Ils ressemblent à des dépressifs sortis tout juste d’une cure de désintoxication. Fidèle à son crédo, Bruno Dumont a choisi de faire jouer des comédiens non-professionnels et atteints par les ravages de la nature (David Dewaele apparaissait déjà dans son précédent long-métrage, « Hadewijch »). On se prend furtivement à remarquer que s’ils ont pu survivre au tournage de plusieurs semaines, il n’y a pas de raison pour que l’on ne survive pas à une projection de moins de deux heures.

Le style de Dumont, zigzaguant entre Robert Bresson (pour l’absence d’effets et la prise de son directe) et Carl Theodor Dreyer (pour le vertige des plans d’ensemble vides), laisse percer, à de rares moments, une vraie beauté. Lorsque le gars et la fille s’arrêtent soudain, s’agenouillent dans la lande et lancent une silencieuse prière à des dieux inconnus, quelque chose se passe. Mais tout à sa volonté de vouloir produire une œuvre philosophico-mystique hors des « satans » battus, oubliant que la réalisation d’un film a d’abord pour objet de traduire un message et de le traduire dans une langue à peu près accessible, Dumont crée une fiction qui ne regarde jamais vers les autres. Alors, à l’instant où une beauté fragile surgit, nous sommes déjà Hors du Film.

Eric NuevoEnvoyer un message au rédacteur

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