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LA PLANÈTE DES SINGES : LE NOUVEAU ROYAUME

Un film de Wes Ball

Apes without Caesar, no strong !

Plusieurs générations après la chute de l’espèce humaine et l’avènement des singes, la planète Terre a retrouvé ses droits et différents clans se sont établis tout autour du globe avec leurs propres codes. Noa, du clan des Aigles, voit son monde chamboulé lorsqu’une armée masquée décime son village et capture les siens. Commence alors pour lui un voyage qui va changer sa vie à tout jamais…

Chez Abus de ciné, nous n’avons pas peur des mots et nous insistons sur le fait pur et simple que la saga "La planète des singes", rebootée en 2011 avec "La planète des singes : les origines", constitue l’une des rares sagas hollywoodiennes de ces dernières décennies qui vaut le coup d’œil autant pour sa cinématographie que pour son propos politique. C’est surtout sous l’égide de Matt Reeves ("Cloverfield", "The Batman") que la franchise a gagné ses lettres de noblesse. "L'affrontement" (2014) et "Suprématie" (2017), les deux volets précédents, ont su apporter une noirceur bienvenue et rare dans les films à grand spectacle de studios, ainsi qu’une mise en scène renversante qui nous offrait un money shot par plan, tout en distillant une certaine poésie au fil du métrage, notamment grâce à son écriture et à la sublime bande originale de Michael Giacchino.

Nous n’étions que peu enclins à un voir nouveau chapitre s’ajouter, notamment depuis le rachat du studio producteur jusque-là de la saga, la 20th Century Fox, par Disney. Car sans doute devait en découler un changement de cap symbolisé aussi par son changement de réalisateur, puisque c’est à Wes Ball qu’incombe de reprendre les rênes. Le cinéaste s’est fait remarquer par son court métrage audacieux "Ruins" en 2011, mais surtout avec son adaptation du "Labyrinthe" ("Maze Runner" en V.O.) et ses trois volets réussis. Bien que ses anciens travaux soient perfectibles, le réalisateur faisait preuve d’un vrai dynamisme dans sa mise en scène et savait instaurer du mystère autour de son histoire. On sent bien ainsi une volonté de la part du studio de partir dans une direction plus lumineuse, ce qui est confirmé via la photographie du film qui se fait moins désaturée et poétique que dans les films de Reeves.

En ce sens, elle s’approche plus du film original de Franklin J. Schaffner de 1968 porté par Charlton Heston : le film se rapproche plus de l'ambiance série B politisée qu’était l’original. Et pour être honnête, on y a cru un moment, notamment avec ce prologue touchant, jusqu’à ce qu’on nous resserve un énième récit initiatique, ici porté par le jeune Noa (campé par Owen Teague) qui doit affronter ses peurs, rassembler les siens et dépasser ses a priori concernant les humains. Malgré la splendeur des performances captures toujours chapeautées par Weta (boîte d’effet spéciaux de la trilogie du "Seigneur des Anneaux" par exemple), l’ensemble parait bien long, du fait d’un scénario assez prévisible (Noa a la carte d’immunité scénaristique et nous n’avons jamais peur pour lui malgré les obstacles sur son chemin) et qui malheureusement se perd en exposition pendant une première partie certes intéressante pour observer le quotidien de cette colonie de singes, mais très mécanique dans sa manière d’inclure les éléments narratifs, soit à venir, soit visant à étendre la mythologie. Des tunnels de dialogues sans mise en situation particulière, voilà un procédé qui n’a pas tendance à nous émoustiller. Et ce n’est pas l'arrivée de Proximus, le grand méchant de cet opus, porté par un Kevin Durand toujours impeccable, qui va sauver l’affaire.

Pire, le sous-texte pourtant intéressant de ce nouveau leader qui trahit les paroles de César tout en se désignant digne héritier avait de quoi susciter de l’intérêt et nous entraîner dans la même lignée que les deux précédents opus. Malheureusement hormis un discours et une scène de repas, ces questions là ne feront jamais vraiment partie des situations et des séquences. C’est peut-être là que le film nous déçoit le plus, il esquisse des bonnes idées (comme les singes qui prennent modèle sur l’être humain et répètent alors les mêmes erreurs), mais jamais le film ne les mettra véritablement en scène. D’autant plus qu’on se retrouve ici sans la puissance de la cinématographie de Matt Reeves qui nous faisait sortir de la projection des étoiles pleins les yeux. Dès que le film arrive dans le camp du tyran, on sent une sensation de redite du volet précédent, "La Planète des singes : Suprématie", avec ce choix de camps de prisonniers et de travail forcé (pour construire un barrage dans le précédent, ici pour ouvrir un bunker).

Hormis esthétiquement, la situation est la même dans les grandes largeurs sans qu’on ait vraiment l’impression qu’ils soient véritablement au bagne. Le métrage ne nous montre jamais la souffrance des compagnons de Noa, ou même les travaux forcés, si bien qu’on se dit qu’ils pourraient bien tous prendre la tangente quand bon leur semble. Pour une sensation de situation dangereuse et urgente, on repassera. Et même si les compagnons humains ne sont pas en reste, leur implication notamment pour le personnage joué par le génial William H. Macy ne rend pas justice à l’idée qu’il y a derrière : l’homme esclave est dorénavant professeur pour le roi singe, ceci afin d’asseoir son pouvoir via ses connaissances. Encore une belle idée gâchée et à peine traitée (on se doute que le nom Proximus vient de leur conversation, mais on aurait aimé en savoir un peu plus afin, ce qui aurait permis d'étoffer ce méchant finalement très « générique »).

Notons également une bande originale de John Paesano qui nous offre une musique orchestrale des plus passe partout et cela devient presque un sacrilège quand elle passe après celle de Michael Giacchino dont la BO jouait également le rôle de prolongement des émotions des personnages, notamment celui de César. Alors oui, la note peut paraître sévère, mais il est temps de se positionner face à ce genre de démarches. La boucle était bouclée avec l’ancienne trilogie. Pour un retour, il aurait fallu plus de souffle et une construction plus maîtrisée, notamment autour de sa narration et des thèmes traités, qui le sont finalement beaucoup trop et dans la superficialité. Oui Wes Ball prend le temps pour ses personnages et distille ses quelques séquences d’action pour proposer avant tout un film d’aventure pour la famille dans la plus grande tradition du genre. Mais nos primates préférés méritaient mieux et on se retrouve finalement devant un spectacle à des années lumières de la puissance évocatrice des deux précédents films. Évidemment, le long métrage prépare le terrain pour une seconde trilogie, mais on commence à en avoir marre d’être devant des films où rien ne nous reste finalement en tête à la sortie et qui n’arrêtent pas de nous vendre des choses à venir alors que c’est l’instant présent qui nous intéresse. Ce nouveau royaume paraît bien trop familier et on ne peut qu'espérer plus d’audace dans les prochains épisodes.

Germain BrévotEnvoyer un message au rédacteur

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