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LE TABLEAU VOLÉ

Un film de Pascal Bonitzer

Des enchères qui démarrent bas mais qui montent vite

Commissaire-priseur dans une célèbre maison de ventes, André Masson est à la fois exigeant dans son travail et intraitable avec ses employés. Le jour où un courrier l’informe de l’existence d’une toile rare d’Egon Schiele – censée être disparue depuis 1939 parce que spoilée par les nazis – chez un jeune ouvrier de Mulhouse, il reste sceptique… avant de se rendre compte de l’authenticité du tableau. Débute alors un processus minutieux visant à acquérir le tableau rare, mais les événements inattendus ainsi qu’une stagiaire pour le moins fantasque vont le mettre à l’épreuve…

Soyons cash d’entrée : même au sein d’une fiction romancée, s’immerger dans le monde (de la marchandisation) de l’art, avec davantage de subtilités et bien moins de show pathétique que dans un numéro d’"Affaire conclue", est en soi une très bonne motivation pour savourer le nouveau jeu de rôle concocté par Pascal Bonitzer ("Rien sur Robert", "Petites Coupures", "Le Grand Alibi"). Sur un peu plus d’une demi-heure, rien ne nous échappe, des phases d’expertise jusqu’à la conclusion des accords de vente en passant par les inévitables impondérables (filoutages, magouilles, tentatives de vol…) et le jeu des chaises musicales entre les ayants-droits, avec une forte priorité pour les interactions à double – voire à triple – sens entre les protagonistes. Double problème à relever, cela dit. D’une part, le récit peaufiné par Bonitzer est très loin d’égaler les jeux de piste retors et intellectuels mis en place il y a longtemps par son maître Jacques Rivette – les quelques obstacles placés sur le chemin de la vente ne sont ici ni nombreux ni stimulants. D’autre part, l’éventuelle mise en abyme sur un monde de l’art lui-même assimilable à une mise en scène grandeur nature (avec tout le bluff et la séduction que cela contient) pointe hélas aux abonnés absents – la caméra de Bonitzer s’en tient à des actions et des situations beaucoup trop terre-à-terre pour toucher à quelque chose de symbolique.

On mettra cela sur le compte de la modestie, car on perçoit vite que l’intérêt du scénario vient surtout des confrontations à l’œuvre. En effet, là où Bonitzer arrive à viser juste, c’est sur la confrontation de deux mondes considérés à tort comme isolationnistes, et qui finissent par prendre acte de leurs points faibles pour entamer le même trajet vers le salut. Il faut donc ne pas s’alarmer de retrouver ici et là l’une des manies scénaristiques de Bonitzer, visant à rendre souvent ceux qu’il filme au mieux irritants, au pire carrément condescendants – et il faut dire qu’on part de très haut en la matière avec les personnages d’Alex Lutz (odieux et suffisant) et de Louise Chevillotte (menteuse et mythomane). C’est au fil de l’intrigue que les aprioris s’effacent et que les caractères se nuancent. Et ce qui aurait pu friser l’éternel ressassement du clash entre la faune parigote et les prolos provinciaux se change peu à peu en compréhension mutuelle entre deux bulles qui, sans aller jusqu’à s’ouvrir l’une à l’autre, font au moins l’effort d’une intersection bénéfique pour l’une comme pour l’autre. Au fond, personne n’est ni dupe ni sincère dans "Le Tableau volé". Juste des individus qui évaluent tout (surtout l’Autre) avant d’évoluer eux-mêmes (surtout aux yeux de l’Autre). Bonne pioche au sein d’un bluff limité, en fin de compte.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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