MON PIRE ENNEMI

Un film de Mehran Tamadon

L’impossibilité de confronter les bourreaux

Mehran Tamadon a filmé à un moment de sa vie les défenseurs du régime iranien. Mais ayant osé les questionner il lui a été conseillé de ne jamais revenir au pays. Il propose à des exilés installés en France de le questionner à la façon d’un interrogateur idéologique de la république islamique. Ceci afin, un jour, de retourner là-bas et de confronter celui qui l’interrogera à son propre comportement, en lui montrant son film…

La démarche de Mehran Tamadon (réalisateur de "Iranien" en 2014) a au premier abord quelque chose de naïf que le metteur en scène lui même ne semble pas saisir. Peut-être du fait de la construction intellectuelle qu’il s’est fait, peut-être aussi du fait de son caractère idéaliste, d’homme qui espère encore faire changer les choses. Et c’est cet idéalisme, qui cruellement, au fil de l’expérience va s’effacer peu à peu, à l’image de ce sourire ou rire nerveux qu’il affiche alors qu’il commence à se faire bousculer.

Ce qui intéresse aussi est la manière dont chacun des hommes auxquels il va demander de jouer l’interrogateur finit par se défausser, par peur de devenir le monstre, ou ne montrant pas véritablement le caractère pour cela, et livrent tout de même quelques bribes de leurs expériences personnelles, entre perte de repères temporels, accusations d’espionnage, aveux et donc mensonges forcés censés vous sauver. Mais c’est avec l’actrice Zar Amir Ebrahimi (prix d’interprétation à Cannes en 2022 pourr le troublant "Les Nuits de Mashhad", et vue depuis notamment aux côtés de Dénis Ménochet dans "Les Survivants"), au regard incroyablement dur, s’engageant sans hésitation dans la voie de l’humiliation et de la souffrance physique (par le froid notamment...), nourrie en réalité de sa propre expérience.

La dernière partie du documentaire, en forme d’échange plus ouvert entre eux deux, permet une certaine prise de recul, sur le comportement réel qu’aurait eu un interrogateur, refusant qu’on lui retourne en réponse des questions, critiquant l’utilité pour la société des métiers artistiques ou intellectuels... Malgré le soulagement de la fin de cette éprouvante expérience, une fois donc les séquences les plus malaisantes passées, il fait peut être encore plus froid dans le dos, refermant la porte sur la facilité à se convaincre de sa propre mission et le peu d’espoir qu’il reste dans un changement possible.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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