INTERVIEW

DEALER

Jean-Luc Herbulot

Difficile de nier le plaisir généralement produit par la conférence de presse d’un petit film autoproduit par une équipe dévouée et passionnée. Présenté en compétition lors de cette 8e édition lyonnaise des Hallucinations Collectives, « Dealer » aura fait un certain effet auprès du pu…

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Difficile de nier le plaisir généralement produit par la conférence de presse d’un petit film autoproduit par une équipe dévouée et passionnée. Présenté en compétition lors de cette 8e édition lyonnaise des Hallucinations Collectives, "Dealer" aura fait un certain effet auprès du public en raison de son caractère de polar sec et de son montage gagné par l’urgence. Le genre de projet qui peine à se frayer un chemin pour atterrir dans les salles, et qu’il convient donc de soutenir bec et ongles, indépendamment de ce que l’on pense du résultat final. Voici donc quelques extraits d’une conférence de presse riche en infos comme en humour.

Origine du projet

Dan Bronchinson : Le point de départ du projet a été la rencontre avec Jean-Luc [Herbulot, ndlr], dont j’appréciais beaucoup le travail. On a sympathisé, et l’idée de faire un long-métrage a très vite été lancée. Jean-Luc voulait faire un film sur une personne qui est sans cesse dans l’urgence pendant une journée, et c’est ce qu’on a décidé finalement de faire sur "Dealer".

Jean-Luc Herbulot : Au départ, j’envisageais de faire en sorte que le héros du film court durant une nuit entière, mais pour des raisons de budget, on a abandonné cette idée. Durant nos discussions, Dan m’a raconté des choses de son passé, et cela a considérablement nourri le scénario de ce film qui ne s’appelait pas "Dealer" au départ. De plus, on s’est rendu compte qu’on n’avait pas en France de film évoquant les dealers, et lorsque j’ai commencé à écrire le scénario et les personnages avec Samy Baaroun, on s’est dit qu’il y aurait quelque chose de différent à faire avec ces personnages. L’idée était qu’il y ait toute une bande de joyeux drilles, tous très caractéristiques, de telle manière à ce que cela puisse amener des suites. Dans notre tête, le projet a fini ainsi par devenir une trilogie. Ce que j’avais envie, c’était de faire une sorte de "Microcosmos" sur le milieu du crime, et plus précisément sur les petits métiers de la rue : dealer, braqueur, receleur, etc. C’est le genre de film que les Japonais savent très bien faire dans les mangas, mais que nous n’avons pas en France.

Difficultés de production et de distribution

Dan Bronchinson : Le plus difficile est de mettre la main au panier, de sortir l’argent et de le réunir petit à petit. Vu qu’on n’a pas suivi les chemins traditionnels, sans jamais chercher à demander des financements ou des subventions, je ne vous cache pas que ça a été dur. Je me suis débrouillé moi-même pour financer le film, avec l’aide de ma famille, de mes amis et de mes proches. Cela dit, à l’heure où je vous parle, j’ai encore quelques dettes… Il est très difficile de faire un film indépendant en France. On a beau avoir de bons retours des critiques et même des distributeurs, on se heurte toujours à un mur. Les distributeurs sont frileux, ils ne veulent pas mettre la main au panier pour faire un peu de communication autour du film ou même pour le sortir en salles. Et comme on est désormais à une époque où règne une vraie démocratisation des moyens pour faire un film, c’est la loi de l’offre et de la demande qui détermine tout. Je ne peux pas vous en dire plus, mais concernant "Dealer", on s’oriente en ce moment sur une sortie qui serait… peu commune.

Jean-Luc Herbulot : Je vais peut-être me faire l’avocat du diable, mais on en arrive à un point où, d’une certaine manière, c’est toujours la faute des gens qui consomment du film sur leur ordinateur et leur téléphone au lieu d’aller le voir en salles. C’est ça qui finit par bloquer l’exploitation de pas mal de films en salles. Les exploitants sont quand même pragmatiques : si la majorité des films qu’il y avait avant ne font plus rentrer d’argent, on ne les distribue pas. Et du coup, il est important de prendre en compte la loi du marché et de trouver des solutions alternatives. Ce qui arrive au cinéma aujourd’hui est exactement ce qui est arrivé à la musique il y a dix ans. C’est un système qui va évoluer de toute façon, et qu’il faut suivre. La problématique qui se pose aujourd’hui avec "Dealer", c’est de savoir si l’on doit rentrer dans un nouveau système – et on est donc des pionniers là-dedans – ou si l’on reste dans l’ancien – et ce sera un enfer pour être distribué. Même les Américains sont dans un cas similaire au nôtre : ils ont plein de films qui sont finis mais qui ne sont pas distribués ailleurs qu’aux Etats-Unis, parce qu’ils savent que ça ne marchera pas. Par exemple, sans la présence du distributeur The Jokers, je ne pense pas que le film de Ryan Gosling, "Lost River", aurait pu avoir une sortie en salles en France. C’est une situation très compliquée.

Un "Pusher" français ?

Jean-Luc Herbulot : On m’a souvent dit que mon film était une copie du "Pusher" de Nicolas Winding Refn, qui est un film que j’adore. Or, la seule chose que j’ai prise à "Pusher" concerne son système de production, que j’ai découvert et assimilé en visionnant le making-of du film. J’ai d’ailleurs eu Nicolas au téléphone il y a quelques temps, parce que je voulais avoir son avis sur "Dealer", histoire qu’il me dise s’il considérait lui aussi que j’avais plagié son film. Il m’a juste dit que ça n’avait rien à voir, que ce n’était pas le même style, même s’il s’agissait là encore une histoire de dealer. De plus, on m’a confié qu’il y avait des liens avec "Hyper tension" – justement sur l’idée d’un mec qui court sans arrêt pendant une journée – et avec le cinéma de Guy Ritchie – que je n’aime pas beaucoup. Or, ces références ne sont pas voulues. Mes seules références pour le film ont été "Cours Lola cours" et "Trainspotting".

Éviter le piège du film urbain

Jean-Luc Herbulot : Sur les films en rapport avec la banlieue, je pense qu’il n’y a plus rien à dire aujourd’hui : Mathieu Kassovitz et Jean-François Richet ont déjà tout dit avec "La Haine" et "Ma 6- va crack-er". De plus, aujourd’hui, ce genre de films ne marcherait plus. A l’époque, il y avait une vraie revendication des banlieues qui faisait que parler d’elles avait un vrai impact sociétal. Si on refaisait "La Haine" aujourd’hui, ça ne marcherait pas. Mon envie était de faire un vrai film urbain, à l’image d’un premier film anglais nommé "Ill Manors" et réalisé par un rappeur. Ce film m’avait épaté : on ne met pas de rap, on ne parle pas des banlieues, on prend les attentes du spectateur à revers. C’est pour ça que "Dealer" intègre par exemple de la musique tantôt rock tantôt classique.

Le choix des acteurs

Jean-Luc Herbulot : La majorité des comédiens du film sont des vrais comédiens qui avaient déjà participé à beaucoup de films. Mais certains non-professionnels sont arrivés pendant le processus de création du film. À ce titre, j’ai une anecdote amusante concernant le petit enfant que l’on voit dans la caravane des gitans. On était dans un vrai camp de gitans, on essayait de négocier avec eux pour avoir cette caravane, et à un moment, le senior de ce camp me demande ce que font les personnages gitans dans mon film. Quand vous étudiez un peu les gitans aujourd’hui, vous avez les religieux d’un côté et ceux qui sont dans la vie de la rue de l’autre. Ce camp était un camp de religieux, et ils ne voulaient pas qu’on donne une mauvaise image d’eux. Je leur ai quand même avoué que, dans mon film, les gitans « braquent ». Et là, je vois un gamin qui sort d’une caravane avec un fusil en gueulant « C’est où que ça braque ? » (rires) Je l’ai regardé et je lui ai dit : « Toi, tu vas être dans le film ! » (rires)

Salem Kali : Cela fait très longtemps que je suis acteur. J’ai participé à pas mal de séries, comme "Braquo", "La Commune", quelques trucs sur TF1, etc. Et j’ai rencontré cette équipe au tout début, à un moment où Jean-Luc m’avait dit qu’il cherchait un scénariste. À la fête de fin de tournage de "Braquo", je lui ai présenté Samy Baaroun, ils ont discuté ensemble toute la soirée, et un mois après, il y avait déjà la première version du scénario. Je n’ai jamais vu ça en vingt ans de métier ! Ce sont de vrais bosseurs qui foncent pied au plancher. L’avantage du film indépendant est qu’il s’agit avant tout d’un cinéma fait par des passionnés, et sans volonté de plaire à tout prix à la ménagère ou au CNC. Et ce qu’on a finalement à l’image, c’est le résultat de leur passion.

Elsa Madeleine : Tout comme Salem, je fais ce métier depuis de nombreuses années. Je ne sais plus trop comment j’ai rencontré Jean-Luc, mais c’était en tout cas à un moment où le processus de casting était déjà très avancé. Jean-Luc m’avait demandé des essais vidéo, je les lui ai envoyés, et ça a collé tout de suite. Pour ce qui est du scénario, le rôle me plaisait terriblement, c’était aux antipodes de ce qu’on me proposait généralement et on m’a surtout laissé une totale liberté pour le concevoir. C’est vraiment une fille qui échappe aux canons du glamour et qui ne se prend pas la tête.

Destin Lenord : J’ai un parcours un peu différent, parce que j’ai surtout fait de la musique et du sport, notamment à Lyon. J’ai aussi été mannequin pendant un certain temps. J’ai joué dans quelques films à gros budget comme "Le Boulet" d’Alain Berbérian, "Le Raid" de Djamel Bensalah et "Peut-être" de Cédric Klapisch, et le fait de tourner dans un film indépendant comme "Dealer" est très gratifiant. Cela te permet d’aller un peu plus loin dans le jeu d’acteur. Et là, avec un personnage aussi malsain et inquiétant, j’ai été servi.

Bruno Henry : Je suis arrivé sur "Dealer" parce que je venais de tourner un court-métrage avec Jean-Luc et j’avais aussi un projet commun de film avec Dan. Le scénario et le rôle m’avaient beaucoup plu, donc j’ai accepté sans hésiter.

Caméra cachée ?

Jean-Luc Herbulot : À un moment donné, même avec un petit budget, on s’est retrouvé dans le besoin d’avoir une deuxième équipe. Je devais filmer avec Dan une espèce de course-poursuite que l’on retrouve aujourd’hui dans le film, et c’était très compliqué à mettre en place, notamment parce qu’on n’a pas forcément les droits de filmer les gens dans la rue qui ne sont pas des figurants. Et comme j’avais ce jour-là un pote réalisateur sur le tournage avec son Canon 5D, je lui ai demandé d’aller tourner des plans à l’arrache de gens en train de dealer. Le souci, c’est qu’il a filmé les mauvaises gueules ! Lorsque j’ai vu les rushes, les plans étaient bons, mais le visage des personnes filmées ne collait pas du tout. On a donc trouvé comme astuce de flouter leur visage, un peu comme dans un reportage de TF1 sur les dealers. Ce n’était donc pas prévu, ça vient juste d’une astuce qui a été décidée après une erreur en postproduction. Cela dit, c’est assez amusant de voir que quelques spectateurs se demandent en voyant ça : « Waow, ils ont filmé de vrais dealers ! ».

Un message à véhiculer ?

Jean-Luc Herbulot : C’est clairement l’histoire d’un personnage qui veut à tout prix changer de vie, qui vit une désillusion totale sur le fait qu’il a toujours voulu être pâtissier et que la rue a fini par le rattraper. Je pense que, plus tu fais des films, plus tu commences à voir les éléments récurrents qui reviennent dans ton travail de metteur en scène. Et dans "Dealer", je pense que c’est avant tout l’histoire d’un homme qui « devient un homme », qui acquiert une certaine maturité. Après, on n’avait pas vraiment envie avec Samy de faire un film trop sérieux : on s’est juste focalisés sur le parcours initiatique d’un homme pendant une journée, avec cette idée qu’une seule décision peut changer toute une vie. Cela dit, il y a aussi pas mal d’humour dans le film, et ça m’amusait d’avoir un type qui passe tout le film à jouer le capitaliste ultra violent alors qu’il porte une veste rouge CCCP – qui est quand même le symbole du communisme ! Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais c’est toujours quand il enfile cette veste que le personnage de Dan devient soudainement violent. Et à la fin, lorsqu’il retrouve sa fille, il jette cette veste. On a donc bâti toute une symbolique autour de cette veste rouge, qui imprègne Dan de toute la violence de la rue.

Une trilogie qui vise large

Jean-Luc Herbulot : Chaque film sera concentré sur un personnage précis que vous avez vu dans "Dealer". Pour le deuxième épisode, ce sera le gitan joué par Dimitri Storoge, et les événements sont censés se dérouler avant le premier. La phase d’écriture est quasi terminée. Pour le troisième, je ne peux pas encore vous en parler parce qu’on est encore en train d’y réfléchir, mais on pense déjà à un tournage en Afrique. À chaque fois, on y retrouvera la même ossature narrative – suivre un personnage sur une journée – et certains personnages de "Dealer" reviendront d’un film à l’autre.

Anthony REVOIR Envoyer un message au rédacteur

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