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Bilan du 9ème Festival de cinéma argentique en plein air – Redessan 2023

31 août 2023
Bilan Festival de Redessan 2023 salle extérieure
© Guillaume Gas

« Si l’œuvre de Louis Lumière a pu revivre dans toute sa beauté, c’est parce que nous avons su trouver celui qui pouvait le mieux, après soixante-dix ans, en tirer des épreuves »… Ce sont là les mots d’Henri Langlois, co-fondateur et secrétaire général de la Cinémathèque française, lors d’une allocution du 22 avril 1968 à la Cinémathèque lorsqu’il évoquait le travail de restauration effectué par Jean-Paul Boyer au sein de son laboratoire de Redessan. Une piqûre de rappel que l’on adresse très fraternellement à l’Institut Lumière, un lieu où le nom de Boyer n’a à notre connaissance jamais été écrit ni évoqué ni même signalé. Tombé dans l’oubli, pour ainsi dire, à l’image de son laboratoire fermé depuis plusieurs décennies mais qui aura contribué à sauver de l’oubli et de la destruction tant de films précieux signés par de très grands noms de notre art préféré. Les faits et l’historique ayant déjà été évoqués dans notre article de présentation du festival, il nous restait alors à prendre le pouls du festival lui-même, histoire de voir comment s’organisait à la fois cet hommage et cette célébration des films. Et là, force est de constater que le Festival de cinéma argentique en plein air de Redessan a su remettre au goût du jour un mantra de plus en plus oublié par les manifestations cinématographiques de grosse affluence : célébrer les films, c’est faire d’eux les seules et uniques stars en lieu et place des personnalités qui monopolisent l’attention des médias et des photographes. Le film en tant qu’alpha et oméga de la célébration cinéphile, avant tout, au-dessus de tout.

Grâce à l’implication constante de ses précieux fondateurs Aurélien Colson et Benoît Baillet, le festival fut configuré et organisé de manière à (re)donner à chacune de ses quatre soirées une aura de moment convivial et culturel, pour le coup à des années-lumière du brouhaha médiatique et de l’hystérie publique qui caractérisent la plupart des cuvées cannoises, vénitiennes, berlinoises ou lyonnaises. Point de sponsors sur les murs, mais une vaste cour d’école retapissée d’affiches de films et immédiatement réceptacle d’une ambiance d’été décontractée, avec restauration « à la bonne franquette », exposition de l’historique du travail de Jean-Paul Boyer et concert de musique live avant le coucher du soleil. Pour accentuer encore plus le ton d’authenticité du festival, un grand nombre de voitures d’époque avaient été installées de part et d’autre de la cour, dont une en lien direct avec le premier film projeté (il s’agissait de la réplique exacte du poids lourd Berliet des années 1950, piloté par Jean-Paul Belmondo dans le film d’Henri Verneuil). Au centre de la cour, une vaste enfilade de chaises étaient alignées face à une très large toile de cinéma (5 m sur 12 m), fréquemment chahutée par un mistral assez puissant durant toute la semaine. Et surtout, une fois entré dans la cour, impossible de passer à côté de la fameuse caméra d’époque, gérée par un projectionniste aguerri (Anthony Meynadier), et dont le changement de bobine (un ou deux pour chaque séance) aura permis à l’assistance de s’offrir quelques petits moments de respiration.

Une fois le soleil tombé aux alentours de 21h, l’heure était alors venue de revivre l’expérience d’une projection en plein air à l’ancienne. Mais derrière cette terminologie ne se cache pas simplement le fait de projeter un film en pellicule argentique, mais aussi quelque chose que l’éditeur DVD/Blu-ray « Coin de Mire » a su remettre au goût du jour depuis quelques années. Soit la projection avant-séance d’actualités de l’époque (journal télévisé, reportages divers, réclames publicitaires, bandes-annonces…), mêlant la mode parisienne aux pubs de confiserie en passant par l’actualité politique au Zimbabwe et le fameux jingle Jean Mineur avec son incontournable petit bonhomme au piolet ! Retour en enfance garanti. A noter que le premier soir fut également marqué par la projection en avant-programme du "Samu du Cinéma", reportage du début des années 1980 décrivant le travail du Laboratoire Boyer de Redessan sur un peu moins de vingt minutes – une archive cinéphile rarissime que l’on vous encourage à rechercher et à propager le plus possible.

Et les films, donc ? Au vu de son sujet et du genre dans lequel il s’inscrit, on peut déjà parler d’un démarrage sur les chapeaux de roues avec "Cent mille dollars au soleil" d’Henri Verneuil, pour le coup la séance la plus remplie du festival. Ce néo-western saharien, souvent relié au "Salaire de la peur" de Clouzot en raison de son postulat, opte pourtant en réaction pour un format Scope qui cadre la puissante horizontalité du désert marocain et pour un ton de divertissement populaire qui lézarde ici et là le suspense attendu. En bref, ça sent bon le sable chaud, l'ambiguïté huileuse, la virilité crâneuse en moteur V6 et surtout le Petit Audiard illustré qui fait bouillir le carbu. Le casting aux petits oignons (Belmondo, Ventura, Blier…) et le grand professionnalisme d'Henri Verneuil font le reste… Un peu moins de sable mais toujours autant de chaleur pour le second soir, consacrée au grand Pedro Almodovar. Le choix de son film le plus populaire, à savoir le magnifique "Talons aiguilles", n’étonne guère tant il synthétise à lui seul la signature Almodovar. Derrière cette torsion du mélo flamboyant à la Sirk/Bergman par un double nœud de comédie déjantée et de polar hitchcockien se niche surtout l’une des obsessions majeures du cinéaste ibérique, à savoir les relations névrotiques entre les mères et leurs enfants, toujours examinées à la loupe par un cinéaste à la fois attentif et empathique. Pour le reste, le film parle de lui-même en matière de sans-faute émotionnel : actrices magnifiques (le tandem Abril/Paredes est à son zénith), couleurs explosives, beauté ahurissante des cadres, chanson culte de Luz Casal, musique envoûtante de Ryuichi Sakamoto, etc…

Toujours de la chaleur au troisième rendez-vous, là encore avec un zeste de crime dans les enjeux sous-jacents, avec "L'été meurtrier" de Jean Becker. On pourrait se contenter de dire que cette tragédie solaire n’a pas pris une ride, que le mythe Adjani y prend définitivement racine sans pour autant éclipser ceux qui l’entoure (dont un prodigieux Alain Souchon), mais cette adaptation du roman éponyme de Sébastien Japrisot reste surtout la locomotive de cette tradition de drames provinciaux animés par une rancœur aussi torride que la passion. On envie ceux qui ne l’avaient jamais découvert et qui ont pu ainsi savourer le choc de son inoubliable dernier quart d’heure… La quatrième et dernière séance fit radicalement chuter la température, et pas seulement en raison du mistral persistant. Avec "Macadam Cowboy" de John Schlesinger, immersion garantie dans cet envers du rêve américain dont on croit avoir déjà fait le tour et qui nous exhibe ici la face la plus crue. Et pas n’importe laquelle : celle de la mythologie du western, ici symbolisée par ce cow-boy aspirant gigolo, toujours plus clochardisée dans un enfer urbain et sordide. Touchant ici du doigt le zénith de sa carrière et chopant trois Oscars en dépit d’un classement X absurde, Schlesinger donne avant tout chair à une déchirante histoire d’amitié, magnifiée par deux acteurs au firmament (Jon Voight et Dustin Hoffman). La tristesse qui envahit le spectateur à la fin du film fut aussi celle du cinéphile conscient de vivre alors la fin de cette 9ème édition, pour le coup couronnée de succès en raison d’une très grande affluence (entre 400 et 500 spectateurs auront fait le déplacement chaque soir) et d’un feed-back des plus enthousiastes. Le rendez-vous est d’ores et déjà pris pour l’année prochaine !

Infos pratiques sur le site de l’association : https://www.boyer-cinema.fr/

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