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Un Poing c'est court 2024

Festival Un poing c'est court 2024 – retour sur le Programme 1

La compétition du week-end du Festival du Film Court Francophone [Un poing c’est court] a vu son rideau s’ouvrir le samedi 20 janvier à 9h30 avec le Programme 1. C’est ce même programme qui a effectué le baisser de rideau le dimanche soir, à 19h. Six films ont été projetés, entre 2 et 24 minutes, pour une durée totale de 1h49. Parmi ceux-ci, il y avait, dans ce premier programme, certainement l’un des favoris du festival.

Festival Un poing c'est court 2024 programme 1
© Konstantin Graeff

"Les Saigneurs" (19’54) : ouverture sur la découverte d’un monde peu connu

Le programme démarre immédiatement sur un magnifique plan large nocturne, montrant une plantation d’hévéas alors que s'affairent à la tâche des saigneurs. Le Cambodge ouvre le bal et son réalisateur, Rotha Moeng, nous entraîne dans une fiction qui s’approche, à de nombreuses reprises, du documentaire. Le spectateur fait ainsi la rencontre du métier de saigneur, ou de ce qu’un personnage du film appelle lui-même un « esclavagisme récent ».

Ce même spectateur se laisse guider par une très belle maîtrise de la caméra, où un grand nombre de plans, très contemplatifs, racontent beaucoup avec peu de dialogues. Alors que le visionnage s’apparente peu à peu à un documentaire sur un travail peu connu, le protagoniste est soudainement victime d’une hallucination faisant basculer le métrage dans une fiction à l’allure fantastique. Mais l’audace est de courte durée. Une seconde scène similaire quelques minutes après, capte cependant soudain l’intérêt, puis…le générique défile. Aucune réponse sur ces hallucinations fantastiques ne sera donnée.

Il faut reconnaître au film d’être visuellement très propre, avec des plans et des transitions très travaillés. Il y a une intention de réalisation faisant que le visionnage ne se regrette pas. Cependant, "Les Saigneurs" souffre peut-être de l’envie de trop raconter en trop peu de temps. Ainsi, la présence des hallucinations devient hors propos et le film perd quelque peu en cohérence.

Malgré tout, cette première mise en bouche est plus que prometteuse, au point que sont excusées les quelques maladresses. C’est donc curieux que le spectateur peut découvrir le deuxième court métrage.

"Le Chant des Bêtes" (23’58) : à trop vouloir choquer, on en devient choquant

Avec "Le Chant des Bêtes", Titouan Ropert a certainement souhaité présenter, aux yeux de tous, et de manière très crue, les maltraitances animales en abattoirs. Il a opté pour un thriller au style found footage maîtrisé, où les scènes de fiction se fondent et se confondent avec les dizaines de vraies vidéos prises dans les abattoirs. C’est avec une économie de dialogues appréciée, et une emphase sur les silences et la mise en scène, que le personnage principal, un journaliste, cherche à comprendre les conditions de travail en abattoirs.

Malgré tous ces points forts, "Le Chant des Bêtes" se prend les pieds dans le tapis en devenant choquant à force de trop vouloir choquer. Autant prévenir les âmes sensibles, de véritables scènes de violences animales sont présentes. Des scènes où des animaux sont égorgés, noyés… où des vaches agonisent au sol, une balle dans la tête, le crâne ouvert, le cerveau coulant, à la vue de tous. C’est d’autant plus regrettable qu’aucun avertissement n’est diffusé au début du métrage, aucune mise en garde quant à la présence de ces scènes. Comme si cela ne suffisait pas, la maltraitance se voit aussi mise en scène lors d’un moment incompréhensible où un chat se retrouve jeté dans un sac poubelle, puis balancé dans une benne à ordure. Pourquoi ? Entre violence réelle et violence fictive, "Le Chant des Bêtes" se montre beaucoup trop graphique. Il veut choquer, c’est une évidence, mais il ne choque sans doute pas le bon public. Il ne choque pas de la bonne manière. Il ne choque pas pour les bonnes raisons. Il choque parce qu’il est devenu aussi choquant que ce qu’il dénonce.

Ce visionnage très dur s’achève et, bien qu’il faille rappeler qu’il disposait d’excellentes idées visuelles, c’est un métrage plus doux, plus posé, plus fictif que le public attend désormais.

"L’Effet Carson" (17’25) :l’académique dans le traitement comme dans le traité

En un plan lumineux, présentant trois tableaux en liège sur lesquels une thèse est collée, Richard Gérard-Denoal nous immerge dans son métrage. La concentration du spectateur est acquise et sera maintenue durant cette histoire où Cécile, une jeune doctorante brillante, s’apprête à clôturer une conférence de grands physiciens. Mais elle est rapidement prise au dépourvu lorsqu’un étrange individu fait son apparition.

L’Effet Carson” présente des personnages très théoriques et essaie de renverser le côté académique, avec plus ou moins de réussite. Rapidement, le court se transforme peu à peu en ce qu’il présente, un cas d’école : un début, un milieu, une fin, chaque acte étant bien défini. La réalisation est de qualité, l’écriture également, la dissémination des informations aussi. C’est un bon court métrage, mais qui finalement peut être accusé de devenir trop prévisible. Mais à défaut d’être surpris par l’intrigue, le spectateur se laisse porter par cette dernière. La caméra lui montre ce qui est important, lui tenant un peu trop la main par moment. Un bon film, ni plus ni moins. Mais il faut rappeler que rien qu’un bon film est parfois une prouesse.

Alors que le Festival du film court francophone semble trouver son rythme avec une programmation systématiquement intéressante et assez homogène dans sa durée (20 minutes par film environ), un court vient briser l’ordre établi. Avec ses 2 minutes et 19 secondes, un petit parmi les grands émerge.

"Etre bien entouré ne rend pas forcément intéressant" (2’19), mais cela arrive quand même

Avec sa courte comédie, son film à sketch (au singulier), Jean-Gabriel Perromat parvient à faire rire la salle avec un monologue très bien écrit sur les nombres. Il n’y a aucune mise en scène et ce court métrage se rapproche plutôt des podcasts YouTube des années 2010 que du film, mais c’est drôle. C’est suffisamment drôle pour avoir gagné sa place dans la programmation. Ce n’est pas une comédie qui gagnera un prix, mais ça n’a pas l’air d’être l’intention non plus. L’envie semblait de nous partager un trait d’humour, un trait d’esprit. C’est réussi. Être bien entouré ne rend pas forcément intéressant ? Visiblement, cela arrive quand même parfois.

“La photographe” (20’42) : le cinéma s’invite au festival

Alexander Graeff était présent à la fin du programme pour une série de questions réponses. Il a raconté que "La photographe" avait suffisamment de matière pour devenir un long métrage. Autant dire que l'adaptation est désormais chaudement attendue et il serait dommage qu’elle ne se réalise pas.

Dès sa première scène, “La photographe” survole le reste du programme. Ce n’est pas nécessairement dû au parti pris du Noir et Blanc, qui amène néanmoins un vent de fraîcheur. Ce n’est pas non plus dû à son héroïne, photographe des années trente, attachante et envoûtante. Si “La photographe” happe le spectateur, c’est parce qu’Alexander Graeff s’adonne devant nous à la cinématographie. Écrire avec le mouvement, si paradoxal quand on suit une photographe et pourtant si évident.

Le réalisateur nous propose un film splendide visuellement, avec une composition de l’image impeccable. L’intrigue suit Gerda Taro, photojournaliste allemande des années 30, au moment de sa vie où elle cherche à partir en Espagne pour couvrir la guerre civile. Cela permet d’évoquer en sous texte la place de la femme à cette époque, dont le talent se trouve approprié, consciemment et inconsciemment, par les hommes. C’est un excellent métrage historique, certainement la plus belle surprise de cette programmation, peut-être même du festival.
Seul point noir, très léger au tableau, certains dialogues paraissent en trop, quand les scènes parlent souvent d’elles-mêmes et n’ont pas besoin d’être expliquées.

C’est souvent une lourde charge que de conclure une programmation, ça l’est d’autant plus lorsque le métrage qui vous précède est de haute qualité. C’est peut être pour cela que c’est le film choral qui a été choisi. Il ne reste plus qu’à savoir si l’ambition est à la hauteur.

"Les chats errants" (21’07) : un court aux allures de long en guise de clôture

La programmation a commencé sur un plan nocturne et se termine par un film dont l’action se passe exclusivement de nuit. Pendant une vingtaine de minutes, “Les chats errants” fait se croiser de nombreux personnages, chacun avec sa personnalité et son intrigue, campés par des acteurs tous justes dans leur rôle.

Trois tranches de vie principales défilent alors sur la Place Altitude Cent, à Bruxelles qui, par certains plans aériens, ressemble quelque peu à une boucle infernale piégeant nos protagonistes, même la plus optimiste. "Les chats errants" montre une belle maîtrise de la réalisation, de la direction d’acteurs, de l’écriture de ses personnages. Certains visuels sont superbes de signification, notamment dans le jeu des reflets. La force du court métrage est qu’il est une œuvre réalisée à plusieurs mains, notamment Victor Sagrista, présent après la séance, mais aussi Elisabeth Silveiro et Maëlle Grand Bossi. Si le risque était d’avoir une certaine inégalité dans les différents segments présentés, ces derniers restent néanmoins assez homogènes.

Néanmoins, si "Les chats errants" est beau, le scénario se révèle quelque peu pauvre avec ces intrigues qui semblent ne pas avancer. La vie de tous les jours est racontée, mais la vie quotidienne n’est pas nécessairement intéressante à chaque instant. Une évidence point à l’horizon : ce n’est pas tant un court métrage qui est projeté, mais la bande annonce d’un long. De l’aveu d’un des réalisateurs présents, "Les chats errants" est en effet un long métrage en cours de réalisation. Le problème est que cela se ressent. Néanmoins, il reste que ce qui nous est montré se regarde sans peine. "Les chats errants" clôture ce premier programme sur une note plus que positive.

À la fin de ce premier programme, présentant des courts tous intéressants et certains de grande qualité, les trois autres programmes deviennent désormais très attendus. Autant prévenir : il se trouve dans ces prochains programmes de très belles découvertes qui méritent de s’y attarder.

Nicolas Ribault Envoyer un message au rédacteur