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Un Poing c'est court 2024

Festival Un poing c'est court 2024 - retour le Programme 2

Suite à un premier programme très qualitatif, la compétition du week-end a rapidement enchaîné avec le Programme 2. Ainsi, c’est le samedi 20 janvier à 14h, puis le dimanche 21 à 16h30, que sept nouveaux courts métrages ont été projetés, entre 2 et 24 minutes, pour une durée de 1h48. Si ce programme s’est révélé moins homogène que le précédent, cela n’a néanmoins pas empêché d’excellentes surprises.

Festival Un poing c'est court 2024 programme 2

"La Lune se lève" (23’00) : un récit historique somptueux dans les montagnes suisses

Le programme s’ouvre sur un plan large en extérieur, alors qu’une jeune femme avance sur un chemin de montagne. Cette fois, ce n’est pas au Cambodge que la programmation démarre, mais en Suisse. Le réalisateur, Gaspard Vignon, fait le choix de conter un fragment de vie d’Arthur Parchet, musicien suisse, alors qu’il fait répéter un chœur de village, durant la Seconde Guerre Mondiale. L’action se passant de nuit, cela permet une mainmise sur la lumière, qui offre ainsi de très belles couleurs. Au centre de cette histoire intéressante et bien racontée se retrouvent la musique et le chant, donnant lieu à de beaux instants émotionnels.

Néanmoins, quelques effets de mise en scène convainquent moins, comme un récit imaginaire présenté sous la forme d’une succession d’images figées, ou encore un travelling circulaire qui perd en intérêt lorsque le spectateur se rend compte que seul les trois quarts de la pièce sont remplis. Cela n’enlève rien au soin apporté à l’écriture et à la narration. Le fait que le protagoniste ne soit pas le musicien, mais une des membres du chœur est d’autant plus intéressant que cette dernière laisse souvent le silence et l’image parler pour elle. D’autres personnages, en revanche, sont bien plus loquaces, et se lancent souvent dans des monologues d’exposition. Il en ressort de belles répliques, pour sûr, mais qui sont noyées dans les avalanches de phrases. Mais, lorsque tous se taisent, que le silence s’exprime, alors "La Lune se lève" se révèle diablement efficace. Ainsi, le réalisateur finit par nous présenter un très beau récit biographique, touchant, et de ce fait, une très bonne entrée pour ce programme.

Comme le précédent, le Programme 2 débute donc par une très belle surprise. C’est avec une certaine impatience que la suite est attendue, mais une certaine appréhension également, le second court métrage du premier programme ayant moins convaincu.

"11:20 AM" (13’53) : un récit à cent à l’heure dont on se questionne sur les intentions

Que dire du film grec de Dimitris Nakos, quand le résumé du programme semble également laconique sur ce que l’on voit. « Olga, employée de maison à Athène, est originaire d’Albanie… ». Certes, il y a en réalité plus que cela. La famille pour qui Olga travaille a été victime d’un cambriolage et le propriétaire est convaincu que cette dernière en a profité pour leur dérober de l’argent. Avec une telle prémisse, l’issue semblait prévisible : le propriétaire, quelque peu raciste, se rendra compte qu’il a tort et la honte le fera se confondre en excuses. Or, c’est presque l’inverse qui se produit quand la grande révélation est [ATTENTION SPOILER] qu’Olga a bel et bien volé de l’argent. Ce final, qui donne raison à l’antagoniste principal, fait s’interroger sur l’intention derrière l’écriture de ce court métrage.

De plus, ce scénario qui ne convainc pas particulièrement est doublé d’une réalisation assez pauvre. Pendant presque un quart d’heure, un dialogue au débit de parole véloce n’est illustré que par un enchaînement de gros plans en champ contre champ. Il n’est présenté qu’un jeu d’acteur filmé, sans aucune proposition visuelle, qui est miraculeusement sauvé par le talent d’un casting pour le coup très crédible.

La fin du visionnage de "11:20 AM" laisse quelque peu sur sa faim car il se ressent une différence de maîtrise entre ce court et celui qui l’a précédé. Il devient soudain difficile de savoir à quoi s’attendre alors que le troisième film débute sous le regard des spectateurs et de son réalisateur, présent dans la salle.

"Anushan" (24’01), une réalisation engageante et engagée sur l’identité tamoule

Avec une déconcertante facilité, et sans réplique particulière, Vibirson Gnanatheepan parvient à immerger le spectateur dans la vie d’une famille tamoule en France et ce dès sa première scène. Sont ensuite traités le thème de l’immigration, celui de la guerre civile au Skri Lanka et le thème de la famille et des origines au travers de la relation entre un neveu, Anushan, et son oncle venu rendre visite.

"Anushan" est une réussite. Tout d’abord, le court métrage explique beaucoup par l’image sans avoir à les expliciter par le dialogue. Par exemple, le jeune Anushan renie sa culture. Cela est montré d’abord par la venue d’un de ses amis, avant laquelle Anushan demande à sa mère de ne pas parler tamoul et où il s’isole dans sa chambre pour rapper. Également, la relation entre l’oncle et le neveu est au centre de l’intrigue et évolue au travers de la présence d’un harmonica. L’action et le visuel sont au service du déroulement de l’intrigue. Il serait également injuste de ne pas saluer la performance du premier rôle, le jeune acteur s’en sort très bien. Beau et intéressant visuellement, le film transpire de l’envie et de l’implication de son réalisateur de raconter précisément cette histoire-là.

Finalement, les jeunes réalisateurs de ce deuxième programme semblent avoir de belles choses à raconter et de bonnes astuces pour faire passer les émotions. Après "Anushan", c’est d’ailleurs au film de Léa-Jade Horlier, très similaire sur certains points, d’être projeté.

"Matapang" (23’41) : plongée aux Philippines dans les conséquences du tourisme sexuel

"Matapang" évoque des sujets lourds, à l’instar de "Le Chant des Bêtes" du premier programme. Il est question de tourisme sexuel, de pédopornographie. Mais malgré tout, il n’est pas question pour Léa-Jade Horlier de choquer en montrant du choquant. Il est question de raconter par l’émotion et par la force de son personnage principal, la toute jeune Mary Ann, enfant issue du tourisme sexuel. "Matapang", tout comme "Anushan", a cette qualité que l’intrigue n’est pas exposée par un dialogue d’exposition d’un personnage aléatoire. Au contraire, l’histoire est distillée, se découvre, et de cette découverte naît ensuite l'émotion. Mary Ann est tout d’abord présentée comme une jeune fille souhaitant partir en France, avant que le spectateur ne comprenne qu’elle recherche son père, avant qu’il ne soit révélé pourquoi ce père semble si inexistant. Durant le déroulé de l’histoire, les sujets lourds évoqués précédemment sont mis en avant, sans scène graphique et avec une certaine justesse.

"Matapang" surprend ainsi par son écriture, même si la réalisation est toute aussi soignée et importante. Il en ressort un film professionnel avec une belle ambition et une bonne intention. Ce dernier souffre seulement d’une quête assez peu originale, celle de l’identité, également présente dans plus de la moitié des courts du festival.

Après deux courts métrages de grande qualité, le deuxième programme entame tranquillement sa seconde partie. C’est le plus court des courts de sa séance, presque dix fois moins long que ses compagnons, qui ouvre la dernière danse.

"Objectif 13" (2’21) : un sujet important traité en trop peu de temps

"Objectif 13" se résume en deux minutes de science-fiction durant lesquelles une classe de collégiens du futur ressasse, à l’aide de diapositives Léa-Jade Horlier tout ce que la Terre a perdu, de la grande barrière de corail à la neige naturelle… Le film de Romane et Lola Talva se veut engagé sur l’urgence climatique. Si l’intention est louable, en plus d’être originale dans le cadre du Festival, le sujet est bien trop complexe et actuel pour que seulement deux minutes suffisent à le traiter correctement. Deux minutes, c’est juste le temps d’exposer un pessimisme, certes compréhensible, mais qui finalement culpabilise le spectateur s’il ne le fait pas désespérer, puisque la conclusion est dans le résumé : « il est déjà trop tard pour changer les choses ».

"L’autre" (20’00) : un dialogue sur l’amour par des personnages attachants

Viktor Miletic fait le choix de nous parler d’amour et d’une manière assez particulière. "L’autre" est finalement une histoire sur l’amour, la rencontre amoureuse et surtout sur la force du sentiment amoureux. Pour enrichir son propos, le court métrage se situe dans une contre-utopie où tout est standardisé, où les règles sont si présentes que l’amour et la rencontre fortuite n’ont plus leur place. Cela est certain, le réalisateur aime les dialogues et sait les écrire. Ainsi, trois personnages vont échanger pendant vingt minutes sur l’amour, au point que le film se transforme peu à peu en du théâtre filmé.

Il faut reconnaître qu’à défaut d’une mise en scène poussée, les personnages sont bien caractérisés, jusqu’à leurs vêtements. Ils sont bien écrits, drôles et attachants et le spectateur laissera échapper quelques rires à des moments précis. Plus que tout, le rythme est bien dosé et les répliques s’enchaînent sans vélocité ni lenteur excessive. Cependant, malgré la belle écriture, il semblerait que le réalisateur n’ait pas eu pleinement confiance en son projet, débutant le court métrage par une succession de paragraphes sur fond noir pour expliquer son univers, alors que ce dernier se dévoile parfaitement dans les dialogues. Ces derniers font de "L’autre" l’une des belles surprises du Festival.

Après six courts métrages ayant chacun son originalité, le deuxième programme arrive à sa clôture. Si le premier programme s’était achevé sur un film choral, c’est cette fois une œuvre beaucoup plus sobre qui marque le final.

"Dinar" (12’05) : une maîtrise de l’image comme belle conclusion

Quand "Dinar" débute, il fait se demander combien de films Moawea Al Omari a pu réaliser, tant sa fluidité impressionne. Le court métrage jordanien a cette ambition de chercher à faire passer la quasi-totalité de son intrigue et des émotions, non pas en utilisant les dialogues, mais en se servant du jeu des acteurs, de la mise en scène, de la composition, des plans, des mouvements de caméra. Cela fonctionne : tout se comprend par le silence. La photographie est très belle et l’utilisation de plans larges fort appréciable.

Tandis que l’histoire suit une jeune fille cherchant à gagner un dinar en récupérant des ordures, le dernier film de la programmation finit par se regarder agréablement, l’image primant sur le dialogue. Peut-être cependant que l’intrigue manque d’un véritable enjeu, ce qui rend sa fin, même si douce, assez peu marquante. Mais c’est ici chipoter face à un court métrage de très grande qualité, une des plus belles surprises de ce deuxième programme. En quittant la salle à la suite de "Dinar", le spectateur emmène avec lui un sourire de satisfaction, le film achevant de le convaincre sur cette belle séance de courts métrages.

Nicolas Ribault Envoyer un message au rédacteur