L'AFFAIRE ABEL TREM

Un film de Gábor Reisz

Une percutante analyse des tensions politiques qui traversent la société hongroise

Grand Prix du meilleur film de la section Orizzonti du dernier Festival de Venise, le film hongrois "L’Affaire Abel Trem" est le troisième long métrage de Gábor Reisz. Redoutable dans les questionnements qu’il génère, et qui auront forcément une résonance en France comme dans d’autres pays comme l’Italie, avec la montée des extrêmes, le scénario se concentre à la fois sur le repli sur soi porté par les populistes, les excès potentiels d’une gauche intellectuelle sûre de la supériorité de ses valeurs, le gouvernement par la peur et la communication, et le peu de scrupules de certains journalistes en recherche du scoop à tout prix, quitte à passer du côté de la propagande.

L’avenir ne semble donc pas très rose en termes de possibilités de dialogue entre des parties de la population résolument opposées. Mais le film, structuré autour des jours qui précèdent et suivent l’examen, revient sous plusieurs points de vue sur cette journée en particulier, montrant les pressions subies par chacun dans une société qui exacerbe les tensions (Abel, son père, la journaliste, le professeur…). Débutant autour d’enjeux plutôt intimes, tels que l’amour de la copine Janka pour Jakab, créant d’emblée un malaise face au professeur qui tente de réagir avec tact à une déclaration maladroite de cette adolescente, le désir secret d’Abel pour celle-ci, ses angoisses répétées face aux révisions qui se traduisent par un agacement vis-à-vis du bruyant frigo, la déception du père face au départ annoncé pour le Danemark de son associé, exécrant l’évolution d’une société où les gens sont devenus « horribles », le scénario suggère en même temps qu’Abel va avoir un rôle tout particulier, laissant entrevoir ponctuellement la retranscription d’une interview de lui.

Avec un casting d’adolescents comme d’adultes impressionnant de justesse, le film s’engouffre dans sa deuxième partie, après un habile montage suggérant l’importance d’un bouche-à-oreille déformant, dans les rouages d’un scandale auquel chacun rajoute sa petite part d’importance, entre peur de la vérité, de la perte de sa réputation, d’un pouvoir autoritaire… Ceci jusqu’à un climax en forme de tentative d’échange entre le professeur et la famille d’Abel, particulièrement tendu. L’introduction elle-même résonnait comme un avertissement, avec symboliquement la petite lucarne qui ouvre le film, comme filmée au téléphone portable, sur un groupe d’élèves arpentant les rues dans la joie (on suppose qu’il s’agit d’un jour de commémoration, le 15 mars, important dans l’histoire...), s’élargit jusqu’à tout l’écran, comme annonciateur du fait que chacun de ces moments privés ou anodins peuvent prendre une proportion publique, qui résonnera de manière différente selon le regard de l’observateur. La conclusion, elle, en forme de bouffée d’air inattendue, vient rappeler que, sans doute, la jeunesse n’a pas besoin d’être prise en étau d’une société irréconciliable, ayant droit à des moments de liberté de son âge et à construire ses propres perspectives.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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