KILL IT AND LEAVE THIS TOWN

Un film de Mariucz Wilczynski

Entre les murs de l’enfance

Ayant perdu ceux qui comptaient le plus pour lui, un homme tente d’échapper au désespoir en se cachant dans un endroit sûr et rempli de souvenirs. Au fil des ans, une grande ville se forme dans son imagination. Des héros issus de la littérature et des dessins animés de son enfance viennent la peupler sans y avoir été invités. Quand le protagoniste découvre qu’ils sont tous devenus vieux et que la jeunesse éternelle n’existe pas, il décide de retourner à la réalité…

Kill it and leave this town film animation

Achevé au terme d’un parcours de combattant de pas moins d’onze ans (!), ce premier film polonais avait tout pour taper dans l’œil du festivalier dès sa projection en compétition au Festival d’Annecy 2020. D’abord parce qu’il renoue avec ce genre d’expérimentation graphique et sensée comme le festival sait si bien en offrir. Ensuite parce qu’il travaille une audace narrative propice à tous les virages risqués – et qu’il arrive à les négocier tous sans le moindre effort. Enfin parce que la notion tout sauf galvaudée d’« imaginaire » est à la fois son sujet et sa matière, une chance et un fardeau – signe évident d’une densité émotionnelle qu’il s’agissait avant tout de concentrer pour mieux la propager. L’imaginaire selon Mariucz Wilczynski devient une sorte de refuge tortueux et éphémère dans lequel se réfugie un jeune homme, peu à peu submergé par des souvenirs et des architectures oniriques qui se font aussi coulantes que des montres de Dali. Avec, comme fil directeur de l’angoisse qui le ronge, une incapacité à s’extraire de sa propre mélancolie vis-à-vis de l’enfance, à quitter pour de bon cette fameuse cité mémorielle que l’on appelle « esprit » et qui finit par devenir « prison ».

Fidèle à toute une tradition pessimiste du cinéma polonais (ambiance grisâtre, errance existentielle, réalité toujours plus déformée par la force du cauchemar…), "Kill It and Leave This Town" prend d’entrée le risque d’éclater sa ligne narrative en une multitude de points de vue (dont celui du réalisateur lui-même), avec une animation constamment adaptée au support. Là-dessus, on pense très souvent à Bill Plympton et à Walerian Borowczyk pour ce goût de l’audace kamikaze et de l’animation mutante, où toute entité dessinée finit fatalement brouillée et redéfinie en autre chose sous l’effet d’un trait brut. Il fallait bien cela pour amplifier la fibre émotionnelle de ce voyage dans la mémoire collective d’un pays sorti dévasté du communisme et du cinéma profondément engagé qui en découla (la voix du cinéaste Andrzej Wajda devient ici celle du passager d’un train). Les morts et les vivants se rencontrent et se confondent dans un style visuel ébouriffant, à la fois brouillon et cohérent (tout ce qui relève ici de l’aspérité visuelle traduit un désir d’effacer ce qui hante et encombre la mémoire), capable d’infuser la mélancolie et l’inquiétude tout au long du montage. La scène finale, splendide à plus d’un titre, en devient même difficile à oublier de par son jeu sur les échelles de plan, partant d’une fête sur un bateau puis s’éloignant toujours plus en arrière jusqu’à révéler un paysage totalement surréaliste qui se passe de commentaires. C’est donc peu dire que l’on sort de ce superbe cauchemar dans un état qui fait se mêler la tristesse et l’éblouissement.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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