INTERVIEW

GIRLS IN AMERICA

Les réalisateurs de « On the outs », présenté la veille en compétition, en sont à leur n-ième petit déjeuner, les journalistes se succédant à leur table, dans l’un des couloirs de l’Hôtel Normandy de Deauville. Très bavards, ils n’hésitent pas à enchaîner leurs réponses respec…

© Olivier BACHELARD

Les réalisateurs de « On the outs », présenté la veille en compétition, en sont à leur n-ième petit déjeuner, les journalistes se succédant à leur table, dans l’un des couloirs de l’Hôtel Normandy de Deauville. Très bavards, ils n’hésitent pas à enchaîner leurs réponses respectives, avec bonne humeur et curiosité matinales.

Journaliste :
L’élément commun entre les trois filles est l’absence de figure paternelle dans leur environnement. Est-ce que c’est un fait que vous avez observé durant vos recherches pour le film ?

Lori :
Oui, il y a de manière générale un manque de père. Mais il y a aussi chez les filles qui passent en prison, une absence de mères, accaparées par leur travail, ou perdues dans leurs propres problèmes de drogue. Du coup, on découvre une certaine haine envers ces mères, incapables de les élever, alors que l’absence du père, sorte de donnée commune, est mieux acceptée.

Michael :
La rupture de famille est une donnée historique aux USA. Cela a commencé au temps de l’esclavage, avec les familles noire, desquelles on enlevait le père pour le faire travailler au pays. Chez les latinos, la séparation est plus un fait économiques, les hommes travaillant pour soutenir leur famille, restée au pays, au Mexique.

Lori :
On continue à perpétuer cela au travers des règles de vie en prison, ou autour. Le système social sépare les familles. D’où la chanson de début du film : « motherless child ». On retrouve aujourd’hui les femmes, victimes du « crack epidemic »des années 80, devenus adultes, et fondant des familles, où les choses se reproduisent.

Michael :
J’ajouterai qu’aujourd’hui, il y a plus d’hommes noirs en prison, qu’à l’université. Ce qui est assez significatif de l’état de la société et de la famille.

Journaliste :
Pourquoi pensez-vous que les filles sont la clé de la fin de ce cercle vicieux, comme vous le dites dans le dossier de presse ?

Lori :
Elles ne sont pas le seul moyen d’en sortir. Mais elles sont les agents de continuation de la société, car elles donnent la vie. Malheureusement, elles sont elles même le produit de mères adolescentes.

Ce que nous croyons, c’est qu’il faut réinsuffler aux jeunes filles une estime de soi, et la foi en une possibilité de vie autre. Je parlait avec une mère de 19 ans, dont la sœur, à 14 ans, attendait elle même un bébé. Lorsque je l’interrogeait sur sa vie future, sur le fait qu’elle pourrait reprendre ses études, elle ne voyait aucune perspective hormis le fait d’élever son enfant. C’est cette pauvreté d’imagination qu’il faut combattre.

Journaliste :
Est-ce que les hommes sont simplement des irresponsables, comme Tyrell qui vole la nourriture du bébé, met la fille enceinte, et s’enfuit ?

Michael :
Concernant le personnage de Tyrell, nous avons fait beaucoup de recherches. Et nous avons mis dans ce personnages, beaucoup de quelqu’un en particulier, que j’avais connu une nuit. Il m’avait demandé 5$. Je me suis alors aperçu qu’il n’avait pas 1$ à son nom, ce qui est difficile à imaginer quand on a une carte de crédit et un compte en banque.

On parle ici d’absence d’espoir, et c’est ce qui rend les hommes ou les enfants dangereux.

Journaliste :
Comme ces enfants qui le braquent à un moment donné ?

Lori :
Oui, en partie. On a essayé de montrer le bon côté de ce gars, Tyrell. C’est un séducteur, il a du cœur, quand il est avec sa copine. Mais il fait de mauvais choix, issus de son éducation et de son expérience.

Michael :
On peut lui faire confiance dans la vie privée. Ce personnage, sans donner dans le stéréotype, permet de se poser des questions sur soi-même, avant de juger l’autre.

Lori :
Oz, elle, est une leader naturelle. Elle est très charismatique, intelligente. Elle a beau vendre de la drogue, et s’avéré parfois violente, elle est droite selon ses valeurs, car elle nourrit sa famille. C’est le contexte qui fait tout.

Journaliste :
Et elle ne peut pas gagner assez en dealant, pour sortir de ce ghetto ?

Michael :
Les médias sont pour beaucoup dans l’image des dealers friqués, avec Escobar, les yachts, etc. Mais en réalité, l’argent de la drogue est un mystère. Il y a une réputation d’argent facile, alors que les mauvaises nuits, ils peuvent faire à peine 20 $. Le véritable argent facile, c’est pour les avocats payés 300 $ de l’heure.

Lori :
Aujourd’hui on n’éduque pas les gens. Le système est devenu pathétique. En prison, on se contente de donner des crayons de couleur aux ados, en guise de cours.

Journaliste :
Le discours que donne un ancien condamné aux filles en prison est plutôt rude. Est-ce un processus fréquent ? Pensez-vous que montrer ou parler d’expériences similaires, en faisant se sentir coupable, est le seul moyen de faire réagir, et d’éviter la récidive ?

Lori :
J’avais déjà vu ce type d’intervention. Ici il s’adresse aux femmes pour leur faire comprendre qu’elles gaspillent les possibilités qu’elles portent en elles.

Michael :
Les jeunes femmes sont souvent conditionnées à penser qu’elles sont inégales, qu’elles valent moins que les hommes. Il s’agit de les extraire de cette pensée. C’est ce qu’on appelle de l’amour agressif : « you’re shit, but we love you ».

Lori :
C’est la faute des hommes si elles sont là, en prison. A l’extérieur, on ne leur enseigne que l’importance de leur look. Les filles rencontrées allaient à l’école en prison, elle peuvent y revenir. Du coup La technique utilisée dans le film est issue du « scared straight », un mouvement né dans les années 70. Il existe différents niveaux de rudesse. Elle reste cependant très controversée, car on peut se demander en quoi cela aide les filles, si elles retournent à leur environnement rude, entre pauvreté et aliénation, à leur sortie, sans aucun changement de fond.

Journaliste :
Lors de votre intervention d’hier, avant la présentation du film, vous avez dit qu’il existait deux Amériques. Dans le film, vous n’en montrez réellement qu’une. N’avez vous pas été tentés d’agir sur plus de contraste, avec des scènes comme celle à Times Square ?

Lori :
Il n’y a pas que cette scène là qui montre les contrastes. Ainsi, la mère de Suzette travaille dur, elle garde les enfants des blancs. C’est vrai que la scène est très courte, mais on y voit bien la maison à 2 millions de dollars dans laquelle elle bosse.

Michael :
En réalité, ces deux Amériques ne se croisent pas, elles ne se rencontrent pas. A Times Square, nos deux personnages sont comme « des touristes dans leur propre jardin ». Depuis les émeutes de 1992, rien ne s’est passé pour cette Amérique dont nous parlons. Les politiques ne prêtent pas attention aux noirs car ils ne constituent pas une force économique, et surtout parce qu’ils ne votent pas. On espère que le film sera une petite source d’ouverture au dialogue.

Journaliste :
L’une des héroïnes du film s’appelle Oz. Doit-on y voir une allusion à la fameuse série télé sur la prison ? Et que pensez-vous de cette série ?

Lori :
Cela n’a pas de rapport avec la série. Ce prénom vient d’une fille, Osbourne, que nous avions rencontré. C’était une femme forte, dont on aimait le diminutif.

Journaliste :
Pourquoi Tyrell est-il surnommé le « milk man » ?

Lori et Michael :
En fait, les enfants d’aujourd’hui fument une sorte de « liquide d’embaumement pour les chevaux » dénommé « BD ». Après en avoir ingurgité on se sent comme Superman, on n’a peur de rien. Mais pour éviter des problèmes d’estomac, on est obligé de boire du lait, avant de fumer. Du coup, Tyrell est celui qui va toujours chercher le lait.

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