HAPPINESS

Un film de Askar Uzabayev

Un plaidoyer réussi contre les violences conjugales au Kazakhstan

Une femme kazakh est partagée, alors que sa fille doit se marier avec le garçon qui l’a mise enceinte, ceci afin de sauver la réputation des deux familles. Négocié par l’influente et riche tante de la mariée, cette union s’annonce pourtant sous les plus mauvais auspices, le futur gendre menaçant cette dernière par téléphone, en la traitant de tous les noms, et jurant qu’il ne viendra pas au mariage. La mère quant à elle, doit en réalité faire face à son mari, violent, surtout lorsqu’il a bu…

Happiness (Baqyt) film movie

Gagnant du prix du public de la section Panorama du Festival de Berlin 2022, "Happiness" est un titre à la résonance ironique, traitant des violences faites aux femmes dans un pays, le Kazakhstan, où les hommes ne sont quasiment jamais condamnés pour ces actes. Les chiffres officiels, présentés au générique de fin, sont d’ailleurs particulièrement éloquents de ce point de vue (80 % des femmes condamnées pour meurtre l’on en fait été par légitime défense face à leur compagnon...). Débutant son récit par les menaces qui planent sur une jeune femme, promise à celui qui l’a mise enceinte, mais dont les messages téléphoniques ne sont qu’insultes et mises en garde, on découvre d’abord le personnage de la mère comme ayant parfaitement intégré cette situation potentielle, prenant même part à l’hypocrisie générale du cérémonial, en souhaitant un agréable mariage à tout le monde, message contrastant évidemment avec la tête contrariée du marié et surtout celle, désespérée, de la mariée, sous son immense voile blanc.

Mais passée le mariage, le film entrera dans le dur du sujet, seule la scène de la salle de bain, des bleus étant visibles sur le corps de la mère et le mari rentrant sans ménagement ni gêne pour utiliser les toilettes, suggérant qu’elle aussi se trouve dans la même situation. D’obéissance à l’homme il va être rapidement question (les discours des deux parents au mariage sont d’ailleurs particulièrement édifiants, utilisant certains mots pour conseiller leur fille : être « humble », « ne pas élever la voix », ne pas les « embarrasser »…), mais aussi de faux semblants dans la vie de tous les jours. Le titre du film prend du coup tout son sens alors qu’on découvre l’activité de cette mère, vendeuse de cosmétiques, au discours tout fait visant à motiver les femmes vers un supposé bonheur, et trimbalant d’une intervention à l’autre les PLV d’une femme au visage plus jeune (que le père préfère d’ailleurs regarder alors qu’il la baise sans ménagement).

Emprisonnement dans un couple que la société exige comme heureux, pressions sociales venant de tous les proches, impossibilité d’obtenir le divorce, corruption dans la police comme les hôpitaux, "Happiness" dresse un constat sans appel de la condition de la femme et du déni total de l’homme en responsabilité. Avec quelques scènes de violences conjugales quasiment insoutenables, malgré l’utilisation partielle du hors champs (par exemple derrière un lit au-delà duquel le mari se déchaîne...), Askar Uzabayev maîtrise la notion de menace dans des passages particulièrement tendus. Un drame saisissant, doté d’une mise en scène remarquable, doublée d’une interprétation saisissante des deux actrices principales (Laura Myrzakhmetova, la mère, et Almagul Kazikhan, la fille), mais aussi de l’ignoble mari (Yerbolat Alkozha, geignard et lâche).

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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