INTERVIEW
MAKING OF
Cédric Kahn
réalisateur et scénaristeSix mois après sa venue à Lyon pour « Le Procès Goldman« , le réalisateur Cédric Khan est de retour avec son dernier film « Making Of« , une comédie racontant le tournage d’un film sur le combat d’ouvriers pour sauver leur usine. Une dizaine de journalistes accoudés sur l’îlot central de la cuisine de l’hôtel Le Royal. Les questions fusent !
Un film inspiré de la vraie vie
Ce film est inspiré de plusieurs de mes tournages, de mes expériences. Et aussi de choses qu’on a pu me raconter. Le tournage de cinéma ressemble à n’importe quel lieu de travail, mais il est en même temps différent. La différence est que les contrats de travail sont de courtes durées, concentrés dans le temps, donc les gens sont impliqués différemment. C’est un travail qui fait appel à beaucoup d’affect, d’émotionnel… Donc il y a des situations un peu extrêmes. Mais c’est aussi un « vrai » travail avec des gens, des salaires, la contingence. Et puis parfois au nom de la création, au nom de l’artistique, on demande aux gens des choses un peu folles, comme de travailler sans être payé.
Un combat parallèle entre fiction et réalité
Par rapport à l’idée du scénario : l’auto gestion de l’usine par les ouvriers. Je voulais au départ faire un film que sur les ouvriers. Mais c’était pas la lutte ouvrière qui m’intéressait, c’était vraiment l’auto gestion de l’usine. C’est à dire, ces ouvriers qui n’ont plus de chef. Au départ les relations entre salariés sont « horizontales » et on réalise très vite que les rapports se verticalisent en fait. C’est aussi des problématiques de création et de cinéma. Le cinéma c’est un art collectif mais pas que. Il y a donc tout ce débat entre « verticalité » et « horizontalité ». J’ai trouvé intéressant de mettre ces deux histoires, cinéma et usine, en parallèle.
Trois histoires dans une
Ce qui était compliqué dans l’écriture c’était d’imbriquer trois niveaux principal d’histoire : les ouvriers, le tournage et l’histoire du réalisateur (et cette relation/transmission qui se passe avec le personnage de Joseph réalisant le making of). Ces trois niveaux de narration devaient s’emboîter et que tout se passe en trois actes. Aussi, le scénario est construit essentiellement sur des conflits de classes : le conflit entre l’acteur star et l’actrice débutante, le conflit entre le producteur marginal et les co-producteurs, le réalisateur et l’équipe technique… Comme dans la vraie vie, il y a une violence de classes sur les tournages. C’est très hiérarchisé. Mais le film ne prend pas de position ni de jugement moral sur les arguments apportés par les différentes classes et hiérarchies.
Un casting haut de gamme
Déjà je tiens à dire que je ne souhaitais pas jouer dans ce film. Il parle déjà assez de moi professionnellement parlant pour que j’en rajoute une couche en faisant l’acteur dedans. Les comédiens du film le font tellement mieux que moi. Denis Podalydès, de la Comédie Française, c’est la quintessence du comédien. Il peut passer de grands textes dramatiques à la comédie. Il a un grand spectre de jeu. Il interprète merveilleusement bien le réalisateur en burn out. Il est très différent de moi, il est beaucoup plus drôle et donc de décaler ce rôle sur lui était beaucoup plus intéressant je trouve. Jonathan Cohen, Stefan Crepon, Emmanuelle Bercot, Xavier Beauvois, Valérie Donzelli... Ce sont des personnes que j’aime en tant qu’acteur, mais aussi que j’aime dans la vie. En fait, je ne regarde pas trop le CV des gens avant de travailler avec eux.
Une comédie
Je rêve de faire une comédie depuis toujours. C’est mon obsession. C’est vrai que j’avais dans mes anciens films, approché la comédie, par exemple dans "L’Ennui", quand j’ai dirigé Berling dans une scène, ou encore "Fête de famille" avec la première partie du film. C’est un peu une farce cette première partie du film. Donc j’avais déjà un peu approché ce genre.
J’avais aussi une autre envie, c’était de parler du cinéma. Ça me tenait très à cœur. Et je ne voulais pas le traiter au premier degré. Sinon ça allait être plus une complainte, un règlement de compte ou du ressentiment. Je ne voulais rien de tout ça. Je voulais au contraire amuser les gens avec des situations universelles très réalistes. Pour moi l’idée c’était de pousser ces situations pour quelles deviennent drôles. Je voulais être en dérision sur tout le monde et surtout sur le réalisateur.
Drôle mais pas que
Le film est une comédie mais pas que : j’ai des choses à dire. Il y a beaucoup de réalisme. Tout ce qui est dit est vrai. Le film traite de dépression professionnelle, de causes sociales, de hiérarchies, de conflits de classes, de l’économie, c’est à dire comment l’argent impacte la création... Il parle de l’épuisement professionnel d’un réalisateur comme dans une vie d’entreprise quelconque.
La solitude du réalisateur
Le réalisateur est proche du réel. C’est comme un métier de chef d’entreprise un réalisateur. Ce n’est pas qu’un métier d’artiste. C’est ça qui est intéressant. L’isolement du réalisateur est subi et induit pour ma part. C’est à dire je suis isolé par ma position de chef mais je m’isole aussi. Le réalisateur a un souci du film qui dépasse celui de l’équipe. Donc le réalisateur est à la fois celui qui est tout en haut de la pyramide hiérarchique et celui qui est tout en bas. C’est le chef et l’esclave du film. Donc ça crée une sorte de solitude. La seule hiérarchie qu’a le réalisateur c’est l’argent, c’est à dire les producteurs...
L’histoire de Joseph, personnage d’espoir
Le personnage de Joseph, interprété par Stefan Crepon, rêve de devenir réalisateur. C’est le seul personnage finalement qui a un happy end. A travers lui on ne voit pas que le côté endogène que peut être le monde du cinéma. Il incarne le rêve, le « tout est possible », même sans être le fils de. Il me ressemble beaucoup. J’étais le jeune homme qui rêvait de faire du cinéma, qui ne connaissait personne. Qui avait l’impression que c’était un monde inaccessible. Et qui pensait aussi que c’était un monde merveilleux. Mais aujourd’hui je suis aussi Simon, le réal épuisé. Mais en ce moment je vais bien. Ce film m’a fait du bien.
Un montage singulier
J’ai travaillé le montage avec mon monteur de toujours, Yann Dedet, pendant 15 semaines environ. L’anecdote c’est qu’il a été le monteur et acteur dans le film qui m’a inspiré ce film, "La nuit américaine". Aussi on n’est ni l’un ni l’autre spécialiste du genre de la comédie. Donc on avait tout à ré-apprendre. On était comme deux apprentis. C’était paniquant, mais assez marrant. Parce que la comédie c’est très fragile, minutieux. Ca ne se fait pas au feeling. C’est plus métronomique et mécanique que ça. Donc il a fallu qu’on trouve nos marques là dedans. Ce qui a été aussi compliqué c’était le montage du making of. De trouver le ton. De manière générale il fallait de la profondeur, du propos, mais à la fois il fallait que le montage ne vienne jamais plomber la comédie. C’était cet équilibre qui était difficile à trouver.
Le plan final
C’est pas tellement la fin du tournage qui me touche dans le plan final sur le cirque qui remballe. On sent que cette friche industrielle qui était pendant 24 jours un décor de cinéma va redevenir une friche, un désert. Les ouvriers qui ont participé au tournage vont rentrer chez eux et vont retourner au chômage... C’est tout ça qui m’émeut dans ce plan. C’est de voir le cirque s’en aller. Retour à la réalité.
Georgy Batrikian Envoyer un message au rédacteur
