INTERVIEW

N'AVOUE JAMAIS

Ivan Calbérac

réalisateur-scénariste

C’est dans le foyer du Ciné Meyzieu, à l’occasion de la présentation de son film « N’avoue jamais » en ouverture du Festival du film européen de Meyzieu 2024, que le réalisateur Ivan Calbérac, également scénariste du film, a accepté de nous rencontrer. Retour sur une douzaine de minutes d’échanges avec Abus de ciné, avant une interview radio avec l’animateur de la soirée.

Entretien Interview Rencontre
© Wild Bunch Distribution

Une histoire vraie comme base

Journaliste :
D'où est venue l'idée du film, c'est un scénario original ?

Ivan Calbérac :
C'est un fait divers, en fait. C'est une histoire vraie. On est parti d'un fait divers qui s'est passé en Italie, d'un sicilien de quatre vingt douze ans, qui a découvert des lettres d'amour destinées à sa femme, qui dataient de plus de soixante ans, puisqu'il était avec sa femme depuis soixante dix ans. Et il n'a pas du tout supporté, il a demandé le divorce.

Et il est devenu le plus vieux divorcé d'Italie, ce qui a un peu défrayé la chronique là-bas. Et cette histoire nous a beaucoup amusés, avec mes producteurs. Je ne voulais pas faire un film sur le divorce, mais sur quelqu'un qui cherche à demander réparation, qui est blessé en fait. Ce que j'ai voulu faire avec cette histoire, c'était de parler d'un homme qui a plus une blessure d'amour qu'une blessure d'honneur. C'est quelqu'un qui, au bout de cinquante ans de mariage, est encore fou de sa femme. Et du coup, quand il découvre cet écart, ça remet tout en cause.

Évidemment, il est jaloux. C'est une version moderne de la jalousie en fait. À n'importe quel âge on peut éprouver de la jalousie, à n'importe quel âge on peut tomber amoureux, c'est ça que j'ai voulu montrer : que dans les sentiments on grandit pas tellement en fait. On reste des ados, même à soixante dix ans.

Un personnage au comportement d’adolescent

Journaliste :
Et il va se comporter d'ailleurs comme un ado...

Ivan Calbérac :
Oui, un peu de comme un enfant. C'est vrai. Et en même temps, on se rendra compte que, finalement il a pas complètement tort non plus, même si on ne va pas tout dévoiler. Mais moi j'aime bien les histoires où les personnages obtiennent exactement l'inverse de ce qu'ils veulent. C'est lui qui veut obtenir réparation et il va pratiquement remettre sa femme dans les bras de son amant.

C'est cette ironie que j'ai trouvée vraiment jubilatoire. Et en fait c'est assez vrai, parfois dans la vie, en faisant des démarches pour quelque chose, qu'on obtient parfois exactement l'inverse. Et quand on arrive à construire des histoires comme ça, c'est assez payant. Et puis, surtout, c'est un personnage qui va vivre cauchemar sur cauchemar. C'est le principe de la comédie. Lui il vit des cauchemars successifs. Lui ne rigole pas du tout, mais nous en le voyant vivre ça, on peut se marrer.

Différents styles de ressorts comiques

Journaliste :
Et justement par rapport à la comédie, on dit que ce qui est hyper important c'est le rythme. Ce que j'ai beaucoup aimé, par exemple, c'est l'idée des plans de coupe avec le chien qui suit cet échange en ping-pong entre le couple. Un principe qui revient deux fois je crois dans le film... Comment est venue cette idée ?

Ivan Calbérac :
L'idée, c'était toujours d'avoir une sorte de distance, parce que, pour moi, la comédie c'est du drame plus de la distance. Et en fait, ils sont un peu ridicules, à s'écharper tout le temps... et quand soudainement, on passe dans le regard du chien qui regarde ce couple en pleine scène de ménage, ça apportait beaucoup d'humour.

En fait j'ai essayé de jouer sur plusieurs registres d'humour, parce que je voulais que le film soit un peu une comédie familiale, qui puisse se voir à n'importe quel âge. Il y a du burlesque, du comique de situation, du comique de caractère, du comique de dialogues... J'ai essayé de jouer un peu sur tous les registres pour que tout le monde s'y retrouve...

Journaliste :
Il y a aussi du comique de répétition... avec l'expression « Il y a prescription » qui revient plusieurs fois et qui l'agace au plus haut point...

Ivan Calbérac :
Du comique de répétition, absolument. Pour lui, le concept de « prescription » ne lui parle pas du tout. D'ailleurs il finit par s'énerver...

Un couple de rêve

Journaliste :
Réunir à nouveau Dussollier et Azéma, dans leur douzième film ensemble... dont les "Tanguy" où ils sont en couples, des films de Resnais aussi ("On connaît la chanson", "Les Herbes folles", "Amours"...). C'était un rêve de cinéma ?

Ivan Calbérac :
C'est leur douxième. Pas 12 où ils partagent l'affiche, mais où ils sont tous les deux dedans. Oui, c'était un rêve de travailler avec les deux. Et en fait, j'avais envie que ce soit André qui joue François, et assez vite, on ne voyait personne d'autre que Sabine pour jouer Annie. Parce que ça faisait un couple immédiatement crédible et immédiatement complice. Et c'est ce que je cherchais, un couple qui soit naturellement un couple. Qu'on sente l'amour qu'ils ont entre eux, qu'on sente la complicité, qu'on sente un vécu. C'est sûr qu'ils arrivent tout de suite avec ce vécu commun.

Et puis, surtout, c'est des Rolls en comédie. Ils sont merveilleux, c'est des acteurs qui expriment tellement de choses en un regard ou une réplique, qui ont une humanité, un sens du tempo. C'est un bonheur pour un réalisateur.

Quelques chansons bien placées

Journaliste :
Comment sont venus les choix des chansons ? Il y a une chanson qui donne son titre au film...

Ivan Calbérac :
En fait, dans ce film, tout le monde a un secret. Et c'est vrai que "N'avoue jamais", j'ai eu envie de la mettre à la fin, sur la dernière scène. Et c’est le titre du film. Et puis les autres, celles dans la voiture, sur l'autoradio, j'avais envie qu'ils écoutent une chanson qui soit totalement ironique par rapport à la situation. Et je suis tombé sur cette chanson de Brigitte Bardot qui s’appelle "Ciel de lit". Ça raconte l'histoire d'une femme qui a un amant et est complètement décomplexée dans ce fait. Et c'est un peu le cas d'Annie, parce qu'elle assume totalement cette vieille histoire, elle ne culpabilise jamais. Et elle ne se démonte pas, elle a une sorte d'aplomb qui la rend très sympathique.

Mais on voit tellement d'histoires où c'est le mec qui a trompé, là, pour une fois, c'est la femme. Elles prennent un peu leur revanche dans le film.

Un archétype de militaire...

Journaliste :
Le fait de faire de Dussollier un militaire, c'est un peu a priori l'archétype de la personne à la fois rigide, mais droite en même temps. Il y a la Marseillaise pour l'anniversaire, il y a tout ce qu'il transmet au fils préféré, qui essaye du coup d'avoir enfin un garçon... Est-ce que vous avez eu envie de pousser encore plus loin dans la caricature, et est-ce qu'il y a eu des idées qui ont dû être abandonnées ?

Ivan Calbérac :
Ça allait encore plus loin oui. Et on a dû doser, parce qu'il fallait trouver le juste milieu. Après, moi j'aime bien dans les comédies, qu'on parte sur des choses assez caractérisées... Qu'on se dise « Je vois ce que ça va être ce personnage... J'en connais un [comme ça]. Je connais un mec comme ça, je connais une nana comme elle... » Et puis, en fait, quand ça avance, c'est plus compliqué que ça. Mais j'aime bien qu'on donne dans une comédie, tout de suite, des clés et des profils psychologiques, avec des défauts assez clairs.

Comme Molière, qui nous montrait un avare, un misanthrope... tout de suite on voit un profil psychologique très clair. Et du coup on a les codes. Et du coup ses réactions nous font rire parce qu'on connaît déjà ce personnage. Dans la comédie, il faut qu'on comprenne très vite à quoi on a affaire. Si c'est complexe, il n'y a pas de rire. Le rire, ça doit être une forme d'évidence. Si on commence à réfléchir on ne rit pas.

...qui évolue grâce à l’histoire

Journaliste :
Et du coup vous contrebalancez un petit peu quand même, progressivement, comme vous dites, par rapport à lui-même, mais aussi avec le personnage de son ancien collègue qu'il appelle pour des renseignements. Lui est en couple libre, et du coup est quelqu'un qui marque tout de suite la différence de génération...

Ivan Calbérac :
Oui, parce que c'est vrai que ce personnage est un peu resté dans une sorte d'ancien monde. Et cette histoire va le ramener à la modernité, à son passé, mais aussi à ses enfants qu'il ne connaît pas si bien et qu'il a parfois du mal à comprendre. En fait, ça va être une sorte de chemin initiatique pour ce personnage. Il avait besoin de cette histoire, pour évoluer. Il y a plein de choses qui lui manquent dans sa vie, sans s'en rendre compte. Son entêtement, ça va l'amener à s'en prendre plein la tronche, mais surtout à s'humaniser, et à mieux se rapprocher de ses enfants.

Et un passé qui explique des choses

Journaliste :
Sans révéler le détail, concernant son passé à lui, il y a un sujet particulièrement sensible qui est abordé. C'est un sujet qui est venu comment ?

Ivan Calbérac :
C'était très important pour moi, parce que le film parle beaucoup de transgénérationnel, de ce qu'on lègue, de ce dont on hérite. Cette rigidité qu'a le personnage, elle ne vient pas de nulle part. En fait, cette forme de violence qu'il a, cette rigidité, c'est de génération en génération. Et elle est dans le déni, souvent. On se dit : « ah non, moi, mon enfance, c'était sympa ». Et on ne prend pas la mesure parfois de la maltraitance qu'on a subie.

C'est un voyage vers qui il est vraiment, qui va permettre de comprendre des choses sur lui. Donc cette scène [que vous évoquez] pour moi, elle était là dès le début, dès la conception du personnage. C'était une des clés de son personnage. À un moment, il fallait qu'on comprenne pourquoi il est comme ça. Et ça nous le rend plus sympathique en plus. Parfois il peut être un peu agaçant, drôle mais un peu... Mais voilà, et finalement on se dit « Il est pas comme ça par hasard ».

Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur

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