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Un film de Chloe Okuno

A ne pas « Watcher »

Julia et son mari Francis quittent les États-Unis direction Bucarest, pays natif de ce dernier où il a trouvé un nouvel emploi. En mettant sa carrière de comédienne en pause, Julia se retrouve alors souvent seule dans leur grand appartement. Assez rapidement, Julia se sent observée par un voisin de l’immeuble d’en face. Paranoïa ou pervers en vue ?

Lorsque l'on découvre la programmation de cette 30ème édition de Gérardmer, "Watcher" de Chloe Okuno a de quoi susciter l’intérêt. D’abord parce que c'est le premier long métrage de sa réalisatrice, après s'être exercée sur un des segments de la saga d'anthologie "V.H.S 94". Ensuite parce que dans une ère Post #Metoo et avec un sujet comme celui du voyeurisme (avec qui plus est un regard d'une réalisatrice), nous étions dans l’attente d’un réel point de vue.

Le film s'ouvre sur un plan large sur le couple qui découvre son nouvel habitat et finit par s'allonger sur le canapé tout en s'embrassant. La caméra amorce un travelling arrière qui nous donne à les voir de l'autre côté de la fenêtre tout en continuant d'observer le couple dans son moment d'intimité. Le spectateur prend alors petit à petit la place d'un voyeur qui habiterait en face. La note d'intention est là, dans les premières minutes. On perçoit alors déjà les influences qui planeront sur le long métrage : "Fenêtre sur cour" d’Alfred Hitchcock pour le pitch et le rapport d'un monde extérieur trop calme pour être rassurant, ou encore "Rosemary's Baby" de Roman Polanski pour le côté intrusion intime, paranoïaque.

Malgré cette jolie ouverture et un concept intéressant avec le décalage culturel vis à vis de Julia et de sa non-connaissance de la langue, le film reste sur les pas rassurants des cinéastes cités plus haut sans apporter un point de vue particulier. Jamais le visionnage de "Watcher" ne sera désagréable, en revanche il sera sans conséquences, sans cette vision particulière qu’aurait pu apporter Chloe Okuno, la réalisatrice préférant se focaliser sur des personnages peu développés (palme d'or au mari désincarné interprété par Karl Glusman) et des effets de manches déjà vu mille fois. On aura ainsi droit à l’ambiguïté sur la véracité de ce qu'elle vit (évidemment même son mari ne la croit pas), des retournements de situations attendus et un dénouement expéditif.

Avec les mêmes éléments qui constituent le film (notamment sa narration et sa mise en scène), la cinéaste aurait pu pousser les curseurs plus loin, apporter des éléments d'authenticités aux situations, nuancer et creuser davantage ses personnages et leurs liens. Rien de tout ça ici, nous sommes face à un produit facilement consommable et oublié l'instant d'après. Un film digne de ce que Netflix fait de pire en matière de thriller, parfait à regarder d'un œil un dimanche pluvieux. Cela soulève une réelle interrogation : alors que des films comme "Promising Young Woman" d'Emerald Fennel (2021) ou encore "Piggy" de Carlota Pereda (2022) ont été de véritables réussites formelles où le regard de réalisatrices a véritablement apporté une réflexion de cinéma intéressante par rapport à ces questions, "Watcher" les traite à la manière d'une série B d'exploitation lambda.

Sans éclat, la mise en scène fonctionnelle et les poncifs du genre ne permettent pas de distinguer quelle pierre a voulu rajouter Chloe Okuno à l'édifice. D'autant qu'on la retrouve également à l'écriture et lors de sa présentation en vidéo avant la projection, le projet apparaissait comme quelque chose de personnel. Et on cherche encore des traces de ses intentions qui se font réduire à de simples procédés narratifs typiques du thriller urbain.

On se rappelle la déception de "The Nightingale" (2018) de Jennifer Kent, dont "Mister Babadook" nous avait scotché en 2014, qui tombait dans les travers du film de « Rape and revenge » où c'est encore une fois à la victime de pardonner son bourreau et de laisser un homme faire le sale travail à sa place. Ce qui rapproche ces deux œuvres c’est la question du point de vue. Lorsqu'une réalisatrice traite d'un sujet que seule une femme peut traiter en ayant un vécu, une vision, un ressenti qui n'appartient qu'à elle (par exemple sur l'avortement, le film "L'événement" de Audrey Diwan 2021) nous sommes forcément déçus à la vision de ce "Watcher" qui enfonce des portes ouvertes et ne retranscrit pas la sensibilité de son autrice.

Pourtant on sent le projet personnel et quelques bonnes idées, mais pas assez exploitées notamment sur l’isolement de son personnage en pays inconnu. Ce qui crée une dynamique dans laquelle, comme Julia, nous sommes perdus, lors par exemple des conversations entre son mari et ses amis (aucun sous-titre n'est présent pour renforcer notre empathie et la solitude ressentie). Quand le remake de "The Grudge" (2004) de Takashi Shimizu prenait ses personnages occidentaux pour les jeter dans un Japon dont ils n'ont ni les codes ni le langage, le cinéaste s'en servait comme vrai vecteur de malaise et de peur (en plus d'intelligemment « remaker » son propre film). Ici hormis l'incompréhension et pour montrer la tendance de Francis de ne pas considérer sa femme, le procédé finira par complètement disparaître.

Autre point positif son antagoniste, joué par le trop rare Born Gorman qui grâce à sa « gueule » et son regard livide nous maintient éveillé lorsqu'il apparaît. Notons la séquence du métro qui installe une tension réussie beaucoup trop rare dans le métrage. Là encore, le poids des influences se ressent avec une reprise de la même séquence dans "Témoin Muet" (1995) d’Anthony Waller. Notons également la présence du personnage d’Irina, campé par l'énergique Madalina Anea, qui apporte une authenticité bienvenue et une complicité avec l'héroïne. Héroïne campée par Maika Monroe découverte dans "It Follows" (2014) de David Robert Mitchell, qui doit composer avec une caractérisation et un script assez pauvre ainsi qu’une direction d'acteurs trop effacée.

Aussi étonnant soit-il, le film s’est vu récompensé du Prix du 30ème anniversaire du festival. Aucunement représentatif de ce que le festival a à offrir de meilleur, presque énervant quand on a fini la séance et qu'on se demande la légitimité d'un tel produit à se placer en compétition face à des œuvres peut être imparfaites, bancales, au budget limité, mais remplies d'une soif dévorante de cinéma, alors qu'on se retrouve ici face à un métrage d'une banalité affligeante et qui n'utilise quasiment jamais la force évocatrice de son médium. L'imposteur de cette édition 2023 c'est bel et bien lui. Lui qui nous laisse de marbre, qui à aucun moment ne décide de créer quelque chose, mais qui se contente de répéter des formules éculées que l’on voit en salle depuis 30 ans. Coïncidence ?

Germain BrévotEnvoyer un message au rédacteur

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