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LES APPARENCES

Un film de Marc Fitoussi

Il était une fois, chez les bobos…

Pivot d’une petite bourgeoisie française implantée dans la capitale autrichienne, Eve et Henri forment un couple heureux. Elle dirige une médiathèque française de Vienne, il est un chef d’orchestre réputé, et tous deux ont un fils. Le jour où Eve découvre qu’Henri entretient une liaison secrète avec l’institutrice de leur fils, un terrible engrenage se met alors en place…

Les aparrences film

Mes excuses pour le sous-titre de la critique, mais c’est ici littéral. Bienvenue dans un autre monde, peuplé d’une catégorie de personnes qui, à défaut de vivre sur une autre planète, poussent à fond le curseur du cocooning dans leur espace feutré et opulent. On cause culture entre intellos, on feint le malaise quand une discussion s’envenime, on se flatte de sa propre supériorité matérielle, et surtout, on entretient le feu des apparences pour ne pas perdre la face aux yeux des autres. Que croyez-vous que le titre du film désignait ? Marc Fitoussi, à qui on devait déjà "Copacabana" ou "Pauline détective", ne fait donc qu’illustrer à la lettre un constat universel que la lutte des classes a rendu antédiluvien depuis un bail : placez des gens – ex-prolos ou bourgeois-nés – dans un cadre riche et socialement avantageux, et ils préféreront toujours sacrifier leurs idéaux plutôt que leur confort. C’est d’ailleurs ce que le film tend à admettre verbalement dans sa toute dernière scène de confrontation, alors même que chaque scène qui a précédé avait déjà donné le « la » d’une telle lapalissade. Tel est le premier problème d’un mélange pas très harmonieux de thriller et de comédie, que certains s’amuseront d’entrée à rattacher à la filmo sarcastique de Claude Chabrol – ils n’auront pas forcément raison. Les autres problèmes de la chose tiennent surtout dans plein de détails annexes qui, de part et d’autre, abîment un résultat pourtant blindé de bonnes intentions.

Si le film se voulait proche de l’esprit de Chabrol (chose que Fitoussi ne revendique d’ailleurs pas), rappelons que la patte du réalisateur de "La Cérémonie", mêlant un fond cruel et des engrenages tordus dans une forme faussement épurée, reste une référence en la matière. Il n’y a pas non plus de quoi taquiner Woody Allen dans son tableau de l’ambition en contexte bourgeois – "Match Point" et "Blue Jasmine" forment un double Everest insurpassable en comparaison de cette petite montagne autrichienne. A cause d’un titre trop explicite et d’un scénario trop porté sur la paraphrase de ce qu’il sous-entend, "Les Apparences" ne carbure pas à l’ambiguïté mais à l’illustratif. C’est surtout une question d’écriture : la moindre intention de dialogue est tellement appuyée, surlignée et surjouée, qu’elle finit par créer l’inverse de l’effet escompté, nous laissant ainsi libres de rigoler quand on ne devrait pas ou de ressentir une gêne que rien ne semblait avoir amené – un décalage qui ne sert jamais une intrigue aussi mince. Là-dessus, les acteurs sont les grands fautifs, jouant davantage des fantoches que des réservoirs à paradoxes : Karin Viard en fait des caisses jusqu’à rendre pénible son lézardement d’épouse insubmersible, Benjamin Biolay continue de tirer une tronche de croque-mort d’une scène à l’autre (deux expressions faciales, pas plus), et Lucas Englander, à grands coups de regards exorbités et de répliques pas possibles, semble écrire une très belle lettre de motivation pour les Gérard.

Bon courage pour créer un suspense réellement solide avec ça, quand bien même le tricotage final de l’intrigue ne se révèle pas plus honteux que celui d’une série noire lambda. Reste le choix d’avoir délocalisé l’histoire à Vienne : où est la plus-value là-dedans ? Pas vraiment dans le fait de mixer deux langues (français et allemand) dans l’espoir de créer une confusion entre deux peuples, puisque celle-ci n’existe pas – le bilinguisme se ressent très bien ici. Pas non plus dans le fait de faire de cette classe bobo parisienne une sorte de cocon qui s’établirait ici et là, à sa convenance, en fonction de ses goûts culturels passagers – cela aurait pu constituer un enjeu de récit intéressant. Le film aurait pris racine en plein avenue Montaigne de Paris que cela n’aurait rien changé. Il y a néanmoins un détail qui nous met la puce à l’oreille : le rapport au conte de fées. Dans les plans d’ouverture et de fermeture, une calèche occupe le cadre : le fait d’y monter est-il un signe de libération ou d’enfermement dans son propre « cadre » ? Et que dire de cette omniprésence de "Peau d’âne", conte incestueux en diable que tant de parents ont l’idée saugrenue de faire découvrir à leurs enfants encore trop jeunes ? Les figures maternelles de ce mode de vie bourgeois ne ressemblent-elles pas déjà à Catherine Deneuve dans le film de Jacques Demy, avec des habits de princesse qu’elles tiennent à garder coûte que coûte et une marâtre « bonne fée » dont elles essaient pourtant de s’émanciper ? Le vrai grand sujet caché derrière "Les Apparences" était sans doute celui-là. Il n’est hélas qu’effleuré.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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