Bannière Reflets du cinéma Ibérique et latino américain 2024

ÉTÉ 85

Un film de François Ozon
 

Pour : Un de ces étés inoubliables

C’est l’été sur la côte normande. Alexis, 16 ans, croise son ami Chris sur le bord de mer. Ce dernier, qui attend une jeune fille, ne pouvant se joindre à lui, lui propose de lui prêter son bateau à voile pour la journée. Seul en mer, Alexis se fait surprendre par une soudaine tempête. Alors que le bateau chavire, il est secouru par David, 18 ans, qui le remorque jusqu’à la plage…

Eté 85 film image

Premier des longs métrages labellisés sélection Festival de Cannes 2020 à sortir en salles, le nouveau François Ozon nous plonge au cœur d’un premier amour, et s’avère aussi nostalgique que lumineux. Bercé par les tubes du début des années 80 (Forest fire de Lloyd Cole and the commotions, Self Control de Laura Branigan, Cruel Summer de Bananrama, Sailing de Rod Stewart, mais aussi le In between days de The Cure, qui aura valu au titre de changer d’année, passant de 1984 à 85), le film est construit autour de flash-backs révélant peu à peu, voix-off d’Alexis à l’appui, les six semaines qu’aura duré cet amour d’été, entre deux garçons, et maintenant le suspense autour de l’acte de ce dernier, qui l’aura mené devant le juge.

Démarrant ainsi différemment du roman d’Aidan Chambers intitulé "La Danse du coucou", puisque le motif de l’arrestation d’Alexis est ici inconnu du spectateur, c’est donc un certain mystère qu’entretient le scénario, les commentaires du personnage principal, comme les interrogations de son éducatrice et de son professeur de Français (Melvil Poupaud) révélant la difficulté pour celui qui aime et s’investit totalement, à pouvoir transmettre ce qui le meut. Fort juste dans certaines citations concernant l’état amoureux (« On invente les gens qu’on aime »), "Été 85" suscite une sourde émotion, allant crescendo alors que l’on s’approche du dénouement, le personnage découvrant peu à peu la différence entre aimer et posséder.

Au cœur du film il y a deux jeunes interprètes formidables. Benjamin Voisin incarne avec aisance une étoile filante, déjà consciente de tout son pouvoir d’attraction. Un rôle à des années lumières de celui du grand frère encourageant dans "Un vrai bonhomme", ou du jeune homme à deux facettes dans "La dernière vie de Simon". Félix Lefebvre, vu dans le thriller français "L’heure de la sortie" et déjà dirigé par Ozon dans sa série "Infidèle", a juste ce qu’il faut d’effronterie et de sensibilité pour incarner un Alex en plein devenir. Philippine Velge plante une attendrissante fille au pair, tandis que Valeria Bruni Tedeschi fait des merveilles en mère fantasque, secouée par la mort de son mari et désireuse de trouver un « ami » à son fils. Ensemble (avec Isabelle Nanty, Laurent Fernandez et Melvil Poupaud), ils forment un contexte où l'épanouissement n’est pas impossible, où le secret a droit d’exister et où la douleur s’exprime au final par l’écrit, faute d’être trop complexe à verbaliser à voix haute. Le film lui rend un bel hommage et réveillera chez beaucoup le souvenir d’un amour brûlant, dont les traces ne s’effacent potentiellement jamais totalement.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

François Ozon est aujourd’hui un cinéaste trop éclectique et imprévisible pour qu’il soit intéressant de l’étiqueter. On s’en est longtemps réjoui, toujours à l’affût de la surprise (positive ou négative, qu’importe), d’autant que le bonhomme enchaîne les films à un rythme de stakhanoviste. Il n’en reste pas moins qu’en replongeant dans ses premiers travaux, on voit bien qu’Ozon a changé sa panoplie, revêtant trop souvent celle du cinéaste grand public au détriment de celle qui en aura longtemps fait le Almodovar français (du genre à démarrer sa carrière dans la provoc trash pour ensuite s’orienter vers le mélo sophistiqué). On le sent désormais : à un "Amant double" près, ses derniers films se font trop timorés, trop fragiles, trop illustratifs, surtout trop coincés à dégager un vrai désir de cinéma. Et après un téléfilm de luxe sur un sujet de société qui aura suffi à supplanter toute notion de mise en scène (oui, on parle bien de "Grâce à Dieu"), voilà qu’une adaptation du roman La Danse du coucou d’Aidan Chambers vient nous montrer que le réalisateur porte de plus en plus mal son nom de famille.

L’été, la mer, la plage, les amours adolescentes, les parenthèses éphémères, les adieux douloureux… Sur ce domaine-là, cela fait tellement longtemps qu’Eric Rohmer domine de très loin la concurrence avec "Conte d’été" ou "Pauline à la plage". Une infinie délicatesse dans le filmage, une mise en valeur permanente de la lumière et du paysage, des acteurs habités et délicatement cadrés, un scénario sans bout de gras – tout était là. Ozon, lui, s’est senti désireux de faire plus sophistiqué en parallélisant le pendant (une love-story gay et éphémère sur les plages normandes en plein été 85) et l’après (l’un des deux ados apparaît menotté et abattu), histoire d’épicer cette romance d’une pointe de thriller trouble – un exercice dans lequel il a souvent excellé. À l’écran, pourtant, le résultat transpire la fausse bonne idée. Parce qu’en zébrant son écrin estival d’une noirceur aussi prononcée et éloignée dans le temps, le cinéaste nous place d’entrée à distance de la romance en cours, incapable de faire naître l’empathie et l’émotion d’où que ce soit. En gros, on ne s’émeut de rien parce qu’on sait déjà que le tableau va devenir sombre. Nul doute qu’un récit linéaire qui aura progressivement glissé d’un ton à l’autre aurait été plus adapté.

Pas aidé par une photo assez moche (pourquoi ce travail sur la désaturation des couleurs ?) et par de jeunes acteurs qui en font trop ou pas assez (on ne sauvera que Valeria Bruni-Tedeschi dans un rôle de mère timbrée), Ozon prouve ici à quel point la mise en scène ne l’intéresse plus. La voix-off devient ici la dictatrice qui fout en l’air toutes ses bonnes intentions : la fascination amoureuse, l’ivresse des corps, le trouble ambigu du vivant pour la Mort (ou plutôt pour le cadavre mort), l’événement à l’origine de cette double narration (on le devine trop vite), la phrase qui justifie l’acte en question (une idée plaquée artificiellement sur le récit), tout est ici explicité, surligné, alourdi par un procédé excessivement littéraire qui énonce les choses au lieu de les faire ressentir par un montage travaillé. Il est certain que quand voir un film donne l’impression que le réalisateur lit constamment le scénario à haute voix, surligne ad nauseam les enjeux du récit et traite son découpage comme si ça devait être la paraphrase littérale d’un script, c’est qu’il y a un problème quelque part.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

BANDE ANNONCE

À LIRE ÉGALEMENT

Laisser un commentaire