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ANALYSE : les génériques des films de David Fincher

Parfois simple apparition du titre, parfois simple liste de noms, le générique de film prend parfois des allures de véritables « film avant le film », servant dès lors à introduire les spectateurs dans l’univers du récit qui va leur être conté. Formaliste de génie, David Fincher est l’un de ces cinéastes pour qui le générique fait parfois office de note d’intention, voire de manifeste cinégénique. Alors qu’on se demande encore comment pourra bien démarrer le très attendu "Gone Girl", retour sur un art de l’incipit cinématographique à nul autre pareil.

Premier long-métrage de David Fincher, et œuvre de commande de la 20th Century Fox, "Alien³" (1992) n’appartient pas pleinement à l’œuvre du cinéaste, ce dernier ayant rapidement renié le film, sur lequel il n’avait aucun pouvoir de décision. Le générique du film se situe donc dans la lignée des deux précédents opus de la saga. À l’instar des films de Ridley Scott et James Cameron, le générique qui suit le logo de la Fox se fait donc sur fond d’espace étoilé, alors que les crédits apparaissent successivement sur la musique du compositeur – ici Elliott Goldenthal – sauf que le titre complet apparaît dès les débuts du film, là où "Alien" et "Aliens" se montraient progressivement en fond du générique. De plus, le montage d’"Alien³" inclut des images du film, montrant l’accident à l’intérieur du vaisseau, assurant la transition avec le second opus. Sobre et efficace, à l’image d’un film ne ressemblant pas vraiment à une œuvre de Fincher.

DANS LA TÊTE DE JOHN DOE

Premier film authentiquement « fincherien », "Seven" (1995) contient en lui presque tout ce qui fera l’œuvre du réalisateur, à commencer par un générique de début devenu plus culte encore que le film lui-même. Passé une séquence introduisant les deux protagonistes, le générique démarre, avec en fond sonore un remix expérimental de la chanson "Closer" de Nine Inch Nails, et qui marque donc la rencontre – indirecte – de Fincher avec le musicien Trent Reznor. Créée par le designer Kyle Cooper (qui travaillera plus tard sur les superbes génériques de "Spider-Man 2" ou de la série "American Horror Story"), l’ouverture de "Seven" nous plonge directement dans l’esprit perturbé du vilain de l’histoire, le tueur en série John Doe. On y découvre un fétichisme méticuleux, particulièrement malsain et pervers, constitué par « des collages, des photomontages, des biffures et des lignes d’écriture miniature (1) », qui sont autant de points d’entrée dans la tête du tueur, tout en annonçant les horreurs à venir. Conçu dans un style volontairement artisanal et griffonné, grâce à l’emploi de la pellicule Kodalith, ce véritable coup de maître dans l’art du générique de film se distingue assurément des habitudes en la matière. Car comme l’affirme David Fincher dans le commentaire audio du film : « Pourquoi éviter que ce soit trouble ? N’est-ce pas de cette façon étrange que John Doe voit le monde ? Trouble ? N’est-il pas censé être déséquilibré et déjanté ? »

Après un tel coup d’éclat, David Fincher se devait-il de persévérer dans cette voie, en offrant à son nouveau film une ouverture une fois de plus remarquable ? Visiblement, non. Car aussi étonnant que cela puisse être, qui plus est avec un film aussi ludique et « cinématographique », "The Game" (1997) se contente d’afficher rapidement le nom de sa boîte de production et son titre, se permettant juste un fond constituer de pièces de puzzle se détachant. Extrêmement simple, et finalement bien à l’image du puzzle mental que constitue le récit.

DANS LA TÊTE DE JACK

Le film suivant de David Fincher, qui reste sans doute son plus controversé, et authentiquement culte, sera donc "Fight Club". Récit d’une schizophrénie aux conséquences sociétales et intimes dévastatrices, l’adaptation du roman de Chuck Palahniuk s’ouvre sur un générique ultra-speedé, rythmé par la musique du groupe The Dust Brothers, et offrant au spectateur un voyage en mode macro dans le cerveau du Narrateur, protagoniste principal de l’histoire. Comme le montre les bonus disponibles dans les différentes éditions vidéo du film, le long travelling arrière, partant des dendrites (les portes d’entrée des neurones) pour remonter jusqu’aux lobes frontaux, traverser le crâne et ressortir par un pore de la peau jusqu’au canon d’un flingue glissé dans la bouche de « Jack », fut entièrement dessiner avant sa conception, afin d’être le plus biologiquement réaliste possible. Sans fioriture, le générique impose le tempo électrique du film, donnant au spectateur l’impression d’être, comme le souhaite Fincher dans le commentaire audio du film, « comme dans une éventuelle attraction "Fight Club" au parc Universal ». Aussi simple qu’efficace.

HOMMAGE À SAUL BASS

Nouvelle œuvre de commande pour David Fincher, après trois films éminemment personnels, "Panic Room" (2002) est considéré comme le parent pauvre de la filmographie du cinéaste, quand bien même s’avère a posteriori d’un véritable film de transition pour Fincher, qui profite ici d’un script basique et roublard pour expérimenter comme rarement, le film étant le premier de l’histoire à avoir été entièrement « prévisualisé » avant le tournage. Le réalisateur en profite également pour livrer un hommage appuyé aux travaux de Saul Bass (célèbre pour ses génériques des films d’Alfred Hitchcock, comme celui de "La Mort aux trousses"), tout en jouant habilement avec la verticalité de l’architecture urbaine new-yorkaise, comme en un amusant pied-de-nez au huis clos à venir. Ici, les crédits du générique s’affichent en lettres immenses sur les imposants immeubles et buildings en verre de la Grosse Pomme, et donnent aux spectateurs un effet immédiat de hauteur vertigineuse, qui contrastera fortement avec l’atmosphère anxiogène du récit à venir.

SAN FRANCISCO, 1969

Pour son retour au cinéma après cinq ans d’absence, David Fincher livre "Zodiac" (2007), basé sur les meurtres commis à San Francisco au croisement des années 60 et 70, et sur les enquêtes menées par un dessinateur de presse, un journaliste et un policier. Film-enquête minutieux dans sa reconstitution d’une époque révolue, le sixième long-métrage de Fincher s’ouvre, une fois n’est pas coutume, sur une première séquence, figurant le premier meurtre du Zodiaque, avant de laisser son générique lancer véritablement la narration du film. Pour la première fois de sa carrière, le cinéaste place les crédits du générique, non pas au sein d’un « mini-film » singulier, mais bien à l’intérieur même de sa séquence, puisque l’on peut voir, alors que les noms défilent simplement, le quotidien du protagoniste incarné par Jake Gyllenhaal. S’ouvrant sur un travelling aérien découvrant le San Francisco de l’époque, ce générique embrasse l’aspect « factuel » du métrage, en se contentant d’une visite réaliste de la ville, permise par un tournage entièrement numérique (avec la VIPER de Thomson). À l’image d’un film aussi précis qu’ambitieux, cet opening évite la surenchère et l’esbroufe, qui aurait sûrement eu droit de cité si l’intrigue avait été plus proche de "Seven", comme le pensait nombre de spectateurs à l’annonce de ce nouveau film.

Film trop souvent oublié, "L’Étrange Histoire de Benjamin Button" (2008), mélodrame romanesque flamboyant, reste un film à part dans la carrière de David Fincher. Car en plus d’être l’unique histoire d’amour du cinéaste, et un véritable hommage aux grandes fresques du cinéma hollywoodien, le film ne contient aucun générique de fin, si l’on excepte les deux logos des maisons productrices, « réinventés » à l’aide de centaines de boutons de couleur.

RÉSEAU ASOCIAL

Pour l’auteur de ces lignes, le film suivant de David Fincher est sans doute aucun son meilleur, celui où sa mise en scène minutieuse et millimétrée se marrie le mieux aux thématiques soulevées. Démarrant par l’une de ces séquences d’introduction dont il a le secret, "The Social Network" (2010) se paye le luxe de construire tout son film à venir en une succession de champs/contre-champs dialogués à la perfection, avant d’envoyer son « héros » à la rencontre de son destin de génie asocial absolu. Dès le départ de Zuckerberg du bar où il vient de se faire larguer, le générique déroule ses crédits sur fond d’images de rue et d’allées d’Harvard, peuplées d’étudiants en groupe ou se dirigeant hors de l’écran, alors que le jeune nerd, lui, reste isolé et/ou à contresens. À l’origine, la séquence devait être accompagnée de la chanson "Beyond Belief" d’Elvis Costello, que Fincher finira par remplacer par l’un des morceaux ("Hand Covers Bruise") composés par Trent Reznor et Atticus Ross, pour leur première collaboration directe avec le cinéaste.

DANS LA TÊTE DE LISBETH SALANDER

Avant-dernier film de Fincher, l’adaptation américaine du best-seller de Stieg Larsson, Les Hommes qui n’aimaient pas les femmes, est surtout marquée par la présence d’un personnage fort, comme le cinéaste les affectionne : la hackeuse gothique Lisbeth Salander. Passé une très courte scène d’introduction, le générique de "Millenium" démarre sur les chapeaux de roues, illustration musicale et visuelle de ce que serait, selon le cinéaste, un cauchemar de Lisbeth. Portées par une reprise flamboyante et électrisante du classique "Immigrant Song" de Led Zeppelin, par Reznor, Ross et la chanteuse Karen O (« C’était tout à fait le miroir de ce que j’imaginais de Lisbeth », en dira le cinéaste dans le commentaire audio du film), les images sombres créées par le technicien des effets-spéciaux Tim Miller (de la compagnie Blur) illustrent toute la complexité du personnage, par le biais de scénettes provocantes, violentes, provocatrices, ou simplement puissamment évocatrices (le phénix flamboyant sur fond de « pétrole »), que Fincher aura décrit au concepteur comme « un générique de James Bond avec une héroïne bisexuelle de 20 ans ». Un véritable « film avant le film », et qui s’impose sans problème comme le générique le plus incroyable et efficace vu sur un écran depuis celui de… "Seven", seize ans plus tôt.

Voilà. La boucle est bouclée. Et David Fincher, dont le nouveau film s’apprête à sortir, n’a sans doute pas fini de nous proposer d’intriguants et originaux génériques de début. À moins que fidèle à ses envies d’expérimentation, le cinéaste ne choisisse une autre voie, une autre manière, de nous faire pénétrer dans son univers, dans ses films, dans son cinéma. On attend donc impatiemment de voir comment débute "Gone Girl", annoncé comme un thriller domestique particulièrement retors, et qui marque sa troisième collaboration avec les compositeurs Trent Reznor et Atticus Ross, éléments indispensables à la réussite de ses deux derniers génériques.

Pour nos lecteurs anglophones, je suggère fortement la lecture de cette excellente interview, durant laquelle David Fincher revient sur les génériques de ses films : www.artofthetitle.com

(1) Guillaume Orignac, David Fincher ou l’heure numérique, Capricci, 2011, p. 34.

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Frederic Wullschleger Envoyer un message au rédacteur

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