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LE DERNIER VOYAGE DU DEMETER

Un film de André Øvredal

Terminus pour Dracula, tout le monde descend

Le capitaine Elliot et son équipage partent des côtes de la Bulgarie, direction Londres, à bord du légendaire navire Demeter. Cependant, les marins qui pensaient rentrer au pays sans encombre sont loin de se douter de la présence d’un passager clandestin pas comme les autres. Tapis dans l’ombre, se cachant dans la cale du bateau, une créature légendaire attend son prochain repas. Commence alors une lutte pour la survie…

Le Dernier voyage du Demeter film movie

Voilà un peu plus d'une décennie que le studio américain Universal essaye tant bien que mal de remettre au goût du jour son catalogue de monstres emblématiques du cinéma tels que Frankenstein, la Momie ou encore Dracula. Drôle d'ironie pour ce studio alors précurseur dans les années 1930 de ce qu'on appelle maintenant un « univers étendu », d'être aujourd'hui l'une des dernières roues du carrosse en matière de création d'univers connectés. On se rappelle tous avec un douloureux souvenir la pitoyable tentative par Gary Shore avec son "Dracula Untold" (2014) ou encore "The Mummy" (2017) de Alex Kurtzman et le teasing du « Dark Universe ». Aucun de ces films n’ayant pas suffisamment marché pour lancer sa vaste opération de conquête, Universal s'est à chaque fois retrouvé le dos au mur, abandonnant ses diverses sagas mortes dans l'œuf.

Mais la persévérance peut payer et nous voici à l’été 2023 avec l'arrivée sur nos écrans d'un film à l'ambition réduite (de prime abord, une bonne série B friquée) et l'envie de renouer avec une esthétique gothique et clairement plus horrifique que les dernières propositions orientées film d'action à grand spectacle. On balaye des yeux les divers noms rattachés à la production et une lueur d'espoir naît dans le cœur de l'amateur de bons films de monstres. Son réalisateur André Ovredal est un habitué du film de genre plutôt malin (on pense surtout à "Troll Hunter" et "Scary Stories") et la distribution est composée d'acteurs plutôt habitués à être des seconds couteaux dans le monde de la série TV (dont Liam Cunningham et son charisme dévastateur déjà présent dans "Games of Thrones"). Même le choix pour la musique de Bear McReady dont les compositions sur "Colossal" de Nacho Vigalondo, "10 Cloverfield Lane" de Dan Trachtenberg ou encore sur "Godzilla 2", montre l'appétence et le talent du garçon pour s'approprier des univers où des créatures étranges peuplent notre monde.

Hélas, les étoiles qu'on pouvait encore avoir dans les yeux lorsque les logos de productions apparaissent lentement à l'écran, s'envolent dès le carton d'entrée : on nous explique finalement le film. Alors certes pour celles et ceux qui sont habitués au mythe de Dracula, et pour qui le livre de Bram Stoker est un classique qu'ils n'enlèvent pas de leur table de nuit, le mystère du film est faible. Mais le voyage de Dracula à bord du Demeter pour atteindre les côtes du Royaume-Uni n'est évoqué que lors d'un chapitre via le journal de bord du capitaine dudit navire. On était déjà en droit de se poser la question de la nécessité d'aller expliciter le drame qui a pu se passer à bord. Et si en plus on enlève toute sorte de mystère pour les néophytes et les profanes, c'est presque synonyme d'un sabotage conscient.

Dès ce carton d'introduction on sait que ce qui va suivre vient du livre culte, on connaît l'origine de la menace - car clairement explicitée également - et on sait d'avance que la finalité du film sera cette première image : le Demeter, échoué sur les côtes d'Angleterre. D'entrée de jeu le film ne se fait pas confiance, car toutes ces indications nous enlèvent clairement notre capacité à nous immerger dans son univers. Comme si l'équipe de tournage nous disait clairement que tout ce qui va suivre est faux. Le jeu avec le cinéma c'est de brouiller la piste entre réalité et fiction, faire croire à l'impossible et le temps de 2h arriver à nous faire croire que les monstres existent. Ni la production, ni le cinéaste n'ont décidé de croire en leur sujet et font tomber le rideau de la « suspension d'incrédulité » directement.

Compliqué alors, autant pour le connaisseur de l'œuvre original que pour celui qui découvre, de s'investir émotionnellement dans un film où continuent les écueils : personnages génériques sans effort de caractérisation à part d’être un outil scénaristique à tel endroit et tel ressort émotionnel forcé à tel autre. Tout paraît mécanique et en pilotage automatique, et c'est plus que désolant avec comme cadre un vieux rafiot d'époque et cette ambiance à la Moby Dick. Hormis une direction artistique soignée au niveau des décors, ceux-ci ne sont que trop rarement mis en valeur par une mise en scène absente.

C'est simple, on dirait que le film entier à été dirigé par la seconde équipe : un empilement de plans rapprochés et à l'épaule qui sont là seulement pour être informatifs ou pour sur-expliquer ce que les personnages ont mis déjà 10 minutes à nous raconter dans des dialogues mous et dénués d'investissement. Jamais ces archétypes de personnages ne nous paraîtront tangibles, avec une réelle direction narrative et de destinée, pas même lorsqu'ils sont face à la menace. Leurs choix nous semblent désincarnés et loin de refléter une coquille dans laquelle nous pourrions nous investir. Pas une seule fois la mise en scène ne nous aide à les trouver seulement humains, tant elle n'épouse pas leurs émotions ni ne les met en valeur.

Même problème pour ce qui est censé être l'attraction du film : Dracula. Interprété par Javier Botet, qui prête ses traits à la créature, le film fait le choix de couvrir l'acteur sous des tonnes d'effets visuels plus que visibles. Un autre choix artistique qui ne fait qu’enfoncer le film dans les tréfonds de l'oubli, en coupant toute possibilité de réel lors des apparitions du monstre ou de ses attaques. Rien ne paraît véritablement palpable et ce ne sont pas les quelques screamers qui vont éveiller en nous un semblant d'angoisse. Nous pouvons finir sur cette note très représentative du film : rien ne tend vers le réel. L'artificialité du récit de part son carton d'entrée, qui se tire une balle dans le pied, en passant par les innombrables tentatives absurdes de piéger Nosferatu (on attend le climax pour échafauder un plan qui ne met même pas le soleil dans la balance, grande menace des vampires, c'est pour vous dire), pour terminer avec un cliffhanger du pauvre où un personnage a survécu (illogique par rapport au roman d'origine soit dit en passant) et tente de se lancer à la poursuite du Comte Dracula…

On lève les yeux au ciel en constatant que le studio veut encore, envers et contre tous, son univers connecté rempli de suites et de spin-off tout aussi insipides les uns que les autres. Beaucoup parlent aujourd'hui de « contenu » plutôt que de films, et on voit bien avec ce genre de propositions que nous sommes dans le pur produit de contenu, produit parce qu'on le peut et massacré parce qu'on ne sait pas faire autrement. À quand une logique et une démarche investie pour des séries de films qui, sans prétendre à devenir de grandes œuvres, pourraient au moins prétendre à être un divertissement bien troussé et respectueux des spectateurs ? Ce n'est pas ce que "Les Dents de la mer" avait prouvé aux yeux du monde il y a de ça 50 ans ? Au vu de la tambouille qu'on nous sert, certains ont comme, on dirait, oublié.

Germain BrévotEnvoyer un message au rédacteur

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