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LA PASSION DE DODIN BOUFFANT

Un film de Trân Anh Hùng

Et bon appétit bien sûr !

Eugénie travaille depuis de longues années pour Dodin Bouffant en cuisine. Au fil des années, ils ont cultivé un véritable amour pour la gastronomie, une complicité dans la préparation des plats et un doux sentiment amoureux sans qu’Eugénie n’ait jamais accepté la main de Dodin… Mais ce dernier n’a pas l’intention d’abandonner l’idée du mariage et compte bien séduire et surprendre Eugénie avec la préparation d’un pot-au-feu de sa propre conception…

La Passion de Dodin Bouffant film movie

Épargnons-nous la critique facile remplie du champ lexical culinaire pour nous concentrer sur la proposition cinématographique de Trân Anh Hung, réalisateur de "L’Odeur de la papaye verte" Caméra d’or du premier long métrage, prix obtenu au Festival de Cannes en 1993. 30 ans plus tard, le réalisateur vietnamien – plus Français que jamais ("L’Odeur de la papaye verte", "Cyclo", "A la verticale de l’été", "Éternité" jusqu’à celui-ci sont des productions françaises ou majoritairement françaises !) – reprend le livre "La Vie et la Passion de Dodin-Bouffant, gourmet" de Marcel Rouff, qui fêtera ses 100 ans de parution l’an prochain. Crédité à l’adaptation, au scénario et aux dialogues, Trân Anh Hung célèbre la France dans plusieurs de ses composantes : sa gastronomie en premier lieu, son romantisme ensuite, son terroir, l’élégance de sa langue et son amour pour les arts (de la table) également. Une adaptation très franchouillarde qui lui a valu l’honneur de représenter la France aux prochains Oscars.

Autant vous prévenir tout suite, Trân Anh Hung n’y va pas avec le dos de la cuillère (ça va être dur d’y échapper en fait !) dans l’exaltation de l’image d’Epinal. Lumières chaudes et estivales, cuisines rustiques, décors et costumes typiques de la moyenne bourgeoisie et bien entendu mets délicieux et gargantuesques au menu : poissons, viandes, sauces, crustacés, feuilletés (oh la la ce feuilleté !). "La Passion de Dodin Bouffant" nous plonge dans une France du début du 20e siècle parfaitement immaculée. Nous sommes là pour en prendre plein les mirettes et surtout plein les papilles. Car c’est d’abord de haute gastronomie dont il est question ici. Et le film a de quoi donner faim, il vaut mieux déjà être rassasié avant de se rendre en salle, sinon vous allez avoir la fringale tout le long !

"La Passion de Dodin Bouffant" met en effet nos cinq sens en éveil : tel un plat, le film de Trân Anh Hung se regarde, s’écoute… et fait saliver ! Il transmet des goûts, des saveurs. Ça crépite, ça craque sous la dent, ça mijote, ça mitonne : pour remplacer toutes ces odeurs manquantes, le son et l’image trompent notre cerveau qui se croit à table et fait gargouiller notre estomac. Les images mettent en valeur des mets fins (un grand bravo au chef triplement étoilé Pierre Gagnaire qui a joué un rôle de consultant [et de comédien] sur le film) tandis que le travail des équipes techniques sur le son est remarquable. Celui-ci occupe d’ailleurs la quasi-totalité du film : aucune musique ne vient perturber le chant des casseroles, des cocottes en fonte et des cuillers en bois. La cuisine, rien que la cuisine comme seul instrument de musique !

Mais un chef n’est pas seulement un chef d’orchestre. C’est aussi un artiste qui combine les bons ingrédients pour faire les meilleurs et les plus beaux plats, c’est un fin connaisseur de l’histoire de la cuisine (le film nous détaille parfois des anecdotes comme l’invention du vol-au-vent). C’est enfin un chimiste. Celui qui pourra expliquer que l’omelette norvégienne est une savante trouvaille qui grâce au blanc d’œuf battu permet d’obtenir un parfait isolant pour la glace à l’intérieur, l’empêchant de fondre, malgré l’alcool flambé déposé dessus ! Trân Anh Hung développe minutieusement l’art culinaire et livre une véritable bible cinématographique sur la grande tradition de la gastronomie française qui deviendra certainement la référence dans les années à venir. De ce côté-là, le film a réussi son pari, mais est-ce suffisant pour embarquer le spectateur quand on sait que le long-métrage dure près de 2h15 ? Quelles autres histoires le scénario creuse-t-il en parallèle ?

Trân Anh Hung ne compte pas s’arrêter aux nombreuses recettes qu’il aligne (pensez à prendre des notes pendant le film !), il entend bien aussi développer l’histoire de ses personnages principaux : le couple formé par Dodin (joué par l’infatigable Benoît Magimel) et Eugénie (interprétée par la remarquable Juliette Binoche). Il sonde les relations d’un duo pas comme les autres, davantage uni par la passion de la cuisine que par une histoire d’amour. La fausse modernité de ce tandem amoureux est malheureusement traitée de manière banale, avec le regard masculin et tout l’héritage patriarcal de cette époque (l’auteur du roman comme le scénariste-réalisateur sont des hommes). Dodin ne cherche qu’à épouser Eugénie. Et cette dernière, en bonne cuisinière, est toujours au second plan, derrière les fourneaux, ne participant jamais aux repas importants contrairement à Dodin-Bouffant, qui se met toujours à table avec ses invités, de sexe masculin bien entendu.

Pire, pourquoi objetiser Juliette Binoche dans la scène où son corps prend la forme puis devient une poire ? N’y avait-il pas un autre moyen de montrer le lien qui relie ces deux personnages ? Ce ne sera pas encore avec "La Passion de Dodin Bouffant" que le cinéma français fera un grand pas en avant contre la misogynie. Un film de plus, où on n’hésite pas à montrer le corps nu d’une femme et à le traiter comme un objet. Les deux comédiens principaux s’en tirent quant à eux très bien. Benoît Magimel incarne goulûment, avec toute la passion du titre, cet amoureux transi de la gastronomie et Juliette Binoche apporte les nuances nécessaires à cette femme désirée qui tente de résister pour conserver une certaine forme de liberté. Les seconds rôles, pour leur part, ne brillent pas tous par la qualité de leur jeu et, on ne va pas se mentir, une demi-heure de moins au film aurait été largement préférable. On a bien compris que la cuisine c’est du temps, mais le subir est regrettable. De même, alors que le film a reçu le Prix de la mise en scène au dernier Festival de Cannes, attention à l’indigestion d’images trop parfaites, nous donnant parfois l’impression d’assister à une interminable publicité Herta… Alors, cette "Passion de Dodin Bouffant" sera-t-elle à votre goût ? On vous souhaite une exquise projection et qu’elle ne vous reste pas en travers de la gorge.

Mathieu PayanEnvoyer un message au rédacteur

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