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ANORA

Un film de Sean Baker

Le portrait explosif et jubilatoire d’une Cendrillon de la nuit

Alors qu’elle travaille dans un club de striptease, Ani fait la rencontre d’un jeune oligarque russe. Elle y voit enfin une porte de sortie pour quitter ce monde de la nuit. Mais la famille de celui-ci ne l’entend pas de la même oreille…

La voici la Palme d’Or de cette 77ème édition du Festival de Cannes, déjouant les pronostics de la presse qui appelait plutôt au triomphe de Mohammad Rasoulof avec "Les Graines du figuier sauvage". Et on peut le dire, il s’agit d’une drôle de récompense. « Drôle » car le film de Sean Baker n’a pas la stature habituelle pour réclamer le premier prix, confirmant un vent de fraîcheur et un renouvellement des coutumes au sein de la prestigieuse institution de la côte d’Azur. « Drôle » aussi et surtout parce qu’"Anora" est une comédie qu’on n’attendait pas, un vrai conte burlesque sur cette Amérique de la marge que le réalisateur étasunien a déjà tant de fois magnifiée ("Tangerine", "The Florida Project", "Red Rocket"). Si le cinéaste a toujours saupoudré ses chroniques sociales d’une teinte d’humour, il s’en donne ici à cœur joie, faisant basculer son récit de la romance à une course-poursuite vaudevillesque particulièrement savoureuse.

Anora préfère qu’on l’appelle Ani. Elle travaille dans un club de striptease où tous les clients ne jurent que par elle. Cette reine de la nuit comprend le russe même si elle refuse le plus souvent de le parler. Lorsqu’un jeune oligarque débarque dans le club, c’est logiquement elle qu’on envoie pour faire chauffer la carte bleue du milliardaire. Le début d’une histoire d’amour improbable, façon "Pretty Woman", où le prince charmant est cette fois un ado attardé qui dépense les dollars sans compter. Malgré la nonchalance et l’arrogance de ce gamin, elle se laisse séduire, accepte d’entamer une relation exclusive avec lui contre rémunération. Au-delà d’une échappatoire à ce monde de galères, c’est l’espoir d’un rêve éveillé qui s’offre à elle, où on ne s’habille qu’en vêtements de luxe et où rien n’est trop cher pour satisfaire ses plaisirs. Dans cet univers artificiel où leur relation est dictée par les billets verts, de vrais sentiments semblent poindre, au point d’initier un mariage express à Las Vegas. Évènement heureux qui ne ravira pas du tout la famille du concerné, au point d’envoyer des hommes de mains pour régler la situation et faire annuler cette union.

On imagine alors que le métrage va vriller côté thriller, avec ces mafieux prêts à tout pour faire appliquer les ordres de ceux qu’on ne peut pas décevoir. C’était sans côté sur le brio de Sean Baker qui détourne complètement nos expectatives, en injectant certes dans l’intrigue un trio de voyous, mais des criminels complètement nuls, une bande de bras-cassés qui finira par avoir peur de la protagoniste dans une séquence géniale de baston. Débute alors un road-trip improbable, usant des différents ressorts de la comédie (du running gag, au comique de situation, en passant par des punchlines bien aiguisées) pour nous transporter dans une euphorie joyeusement bordélique. Sensuel, osé, amusant, touchant, "Anora", sous ses faux airs de petit film indé, s’avère une œuvre profonde, qui n’oublie pas d’esquisser en creux le portrait des laissés-pour-compte du pays de l’Oncle Sam. Et révèle par la même occasion l’immense talent de Mikey Madison (déjà aperçu dans "Scream"). Si son personnage rêvait de changer de vie, ce rôle-là devrait en faire de même pour l’actrice tant elle irradie la pellicule. Une Palme d’Or grand public, sexy, cocasse et surprenante… Que demander de plus ?

Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur

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