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TANGERINE

Un film de Sean Baker

Des mandarines bien juteuses et très sucrées

Au coeur des bas-fonds de Los Angeles, un 24 décembre. Sin-Dee et Alexandra, deux prostituées transgenres, se retrouvent au café pour partager un donut de Noël. Sin-Dee, qui sort tout juste de prison, apprend de la bouche de son amie que pendant son incarcération son petit-ami, mais également maquereau, l’a trompée avec une autre fille. Furieuse, Sin-Dee part à leur poursuite dans un Tinseltown mouvementé...

Véritable bijou cinématographique, "Tangerine" surprend, émerveille et nous donne la pêche ! Bienvenue à « La La Land », une ville déjantée, lumineuse et souvent surréaliste. La première chose qui nous enchante, c’est le rythme du film et son découpage : on commence par une petite introduction et très rapidement nous sommes projetés dans un road-movie où la caméra va suivre plusieurs personnages à différentes places, à des moments simultanés. Ils se séparent, se recroisent et se rejoignent… Bref une excellente dynamique pour l’œil et le cerveau.

Coté bande sonore, le choix musical opéré par Sean Baker est parfait : si à l’origine il souhaitait ne pas inclure de musique, ce n’est qu’en post-production qu’il a senti que cela était en fait indispensable. Et on ne peut que le féliciter de son choix : les plans musicaux qui s’enchaînent avec une excellente synchronisation avec les plans visuels amènent une harmonie parfaite : on flotte avec les séquences et on se laisse porter. Notons que la bande-son est très éclectique : jazz, classique, électronique… Tout ceci, là encore, supporte bien l’image électrique que veut donner Baker.

Le scénario n’est pas en reste : le réalisateur est l’arbitre d’un combat entre deux prostituées transgenres, représentantes de leur classe, qui luttent quotidiennement pour un peu plus d’acceptation et de respect. Le choix du jour de Noël n’est sans doute pas anodin, tant le thème de la famille est mis en avant : ces prostituées sont probablement seules au monde, n’ont plus qu'elles et doivent donc se serrer les coudes. À une époque où le droit à la différence est de plus en plus présenté comme une liberté évidente et intrinsèque (les exemples d’actualité sont là : mariage homosexuel reconnu dans plusieurs pays, question de l’adoption pour les couples de même sexe plus que jamais discutée, reconnaissance du mot transgenre par Obama...), ce film tombe à pic et apportera très certainement sa pierre à l’édifice, avec humour et sérieux, avec esprit et légèreté.

Le choix alors de deux vraies transgenres qui ne sont absolument pas comédiennes, et qui jouent dans leur premier film, est presque logique. Libérées de toutes les contraintes - ou presque - de la fonction d’acteur, l’improvisation mêlée à la direction de Baker vient apporter de la crédibilité voire de la vérité. "Tangerine" recèle des scènes qui deviendront probablement mythiques, un esprit rappelant par moment le très célèbre "Tueurs nés" d’Oliver Stone et une saturation élevée de l’image. Sur ce dernier point, on constate effectivement que le métrage est très lumineux et orangé, apportant un côté radioactif à toute la bobine! C’est audacieux, quand on sait qu’un cinéma réaliste est un cinéma où l’on a tendance à désaturer. Audacieux, oui, mais approprié, ceci collant parfaitement avec les personnages hauts en couleurs qui nous livrent une réalité émotionnelle parfaitement retranscrite. Enfin, quand on sait que le film a été tourné avec un iPhone 5S, on ne peut que s’incliner devant tant de puissance.

Jean-Philippe MartinEnvoyer un message au rédacteur

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