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INTERVIEW

L'ÉVÈNEMENT

Audrey Diwan et Anamaria Vartolomei

réalisatrice et scénariste, et actrice

C’est pour son nouveau film intitulé « L’évènement« , replaçant le sujet brûlant de l’avortement de le contexte des années 60, et récemment récompensé du Lion d’or au Festival de Venise 2021, qu’Audrey Diwan (« Mais vous êtes fous« ) a fait le déplacement au Festival de Sarlat. L’occasion d’une riche interview dans les salons de l’hôtel Le Renoir.

Entretien Interview Rencontre Audrey Diwan et Anamaria Vartolomei réalisatrice et scénariste, et actrice du film L'événement
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Trouver la bonne porte d’entrée pour adapter le roman "L’événement" d’Annie Ernaux

Audrey Diwan a décidé de raconter l’histoire au présent, alors que l’auteure avait rédigé le roman au passé. C’était là pour elle la clé. Ce qui l’intéressait c’était de « raconter une expérience qui s’écrive au-delà de l’époque et surtout au-delà de la question du genre homme ou femme ». Car il s’agit là avant tout d’une « histoire d’aujourd’hui, même s’il y a des marqueurs des années 60 » dans le film.

La réalisatrice ne cherchait ainsi pas à faire « une reconstitution de l’époque ». Elle souhaitait la vivre avec son personnage.

Un sujet brûlant, plus que jamais d’actualité

Quand elle a commencé à travailler sur le film, on disait à Audrey Diwan que c’était « un sujet qui n’était pas d’actualité ». « Au cours de l’écriture, c’est redevenu un sujet de discussion alors qu’auparavant » elle devait elle-même défendre son sujet. Ceci avec le passage de la Loi en Pologne puis au Texas lorsqu’elle voyageait notamment vers Venise en 2021 pour présenter le film à la Mostra.

Il lui a fallu une forte implication des acteurs. Elle souhaitait « que tous soient liés dans certains plans par les mouvements de caméra », des plans, du coup très chorégraphiés.

La recherche de la comédienne comme question cruciale

Selon Audrey Diwan l’actrice qu’elle allait choisir « serait le film ». Mais il lui fallait cependant poser quelques critères : « quelqu’un qui ait déjà fait un film avant, qui ait une proximité à la caméra, qui sache la dompter », « quelqu’un qui lors du casting ne cherchait pas » à lui plaire. Elle a ainsi mis en place des séances de travail, sur des détails expressifs, « pour juger du rapport au texte », avec en perspective la lecture à la fin d’Aragon ou Victor Hugo.

Quand on pose la question à l’actrice Anamaria Vartolomei si elle s’est inspirée par exemple de sa mère, celle-ci indique qu’elle est roumaine, sa mère et sa grand-mère aussi. Et qu’en fait elle a plutôt « puisé ses inspirations ailleurs ». Elle n’avait cependant pas vraiment d’idée du processus qui pouvait faire un avortement clandestin. Elle a lu le livre, avant les essais, afin d’ en apprendre les détails. Et en tant que jeune femme, elle avoue s’être nourrie « de la détermination d’Annie Ernaux.

Un sujet forcément lié à la différence de classes

Un journaliste fait remarquer à Audrey Diwan que la question de la différence de classe est très prégnante dans le livre et qu’elle appuie particulièrement cela chez les parents. Elle rétorque alors que ce n’est « pas que chez les parents ». Elle n’a « pas voulu faire un film à thèse, seulement centré sur l’avortement clandestin, mais l’histoire d’un transfuge de classe ». C’est le trajet de son personnage « chaque semaine, de chez ses parents qui sont des prolétaires vers l’université qui est plutôt bourgeoise ». Anne « n’est plus dans l’un, mais pas encore dans l’autre ».

Il y avait selon elle « de plus une dimension liée au genre ». Le nom de « fille facile » était alors « donné aux filles des classes populaires ». Le faite qu’elle dise « je me suis faite engrosser comme une pauvre » dit quelque chose de sa position sociale. « Si elle avait eu de l’argent, elle serait allée dans un autre pays se faire avorter ».

Une affiche la plus épurée possible

La réalisatrice voulait une affiche épurée, « à l’image du film ». Pour elle, « le regard direct du personnage est un défi ». Elle concède qu’il y a en effet une ressemblance avec l’affiche d’ "Une affaire de femmes" de Claude Chabrol, mais c’était selon elle « quelque chose d’inconscient ». Il y avait une volonté également de « ne jamais dire le mot avortement dans le film ». Car en effet le principe est la loi du silence. Et car « si on nomme les choses, on a tendance à les faire changer ».

Au final « aucun personnage dans le film n’est jugé, ils sont tous dans ce rapport à ce silence sur le sujet ». Aujourd’hui on a l’impression que c’est « un acquis à l’arraché ». Mais certaines personnes ne veulent toujours pas en parler, car « c’est comme si finalement c’était quelque chose de temporaire ».

Montrer l’isolement et parvenir à l’émotion

Dans le film y a eu un travail important sur la lumière, afin de faire ressentir la progression dans la situation esseulé de cette fille. Il s’agissait de « raconter la peur », comme si elle était devant une porte et qu’ « elle ne savait pas si quelqu’un de favorable allait être derrière ». Le décompte des semaines, qui donne ainsi un effet thriller, est « quelque chose qui était déjà dans le livre ». Ils avaient même mis une oreillette à Anamaria Vartolomei, « avec un tic toc pour mieux [lui permettre de] rentrer dans son corps », pour l’aider dans l’apport d’émotion.

Le choix d’Anna Mouglalis pour l’avorteuse, c’était « un peu pour sa voix ». On se trouve alors « dans un univers de faiseuses d’anges », proche de la sorcellerie. Tout est fait pour que cela ait peu de réalité, et « c’est elle qui nous emmène vers la réalité du processus de l’avortement ». Pour faciliter le tournage de ses scènes, la réalisatrice lui a conseillé de regarder un documentaire de Marianne Otero et surtout le film ukrainien "The Tribe", primé à la Semaine de la critique, sur une bande de sourds-muets, avec également une scène d’avortement choc.

Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur

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