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INTERVIEW

CLOSE

Lukas Dhont

réalisateur et scénariste

C’est au cinéma Comoedia que notre rédactrice Amande a rencontré Lukas Dhont, le réalisateur de « Close« , Grand Prix du dernier Festival de Cannes. L’occasion d’un échange passionnant autour de quelques questions.

Entretien Interview Rencontre Lukas Dhont réalisateur et scénariste de Close
© Diaphana Distribution

Le film est structuré autour d’images liées au temps et aux saisons. Quel a été le point de départ de l’écriture du film ? Quelles images vous ont tout d’abord traversées ?

Lukas Dhont : Avant de vouloir être réalisateur, je voulais être danseur. Le cinéma c’était un peu mon plan B. J'ai toujours essayé de rester proche de la chorégraphie et de la danse, et dans la manière que j’ai de créer, les mouvements viennent d’abord, parce que je pense que j'écris vraiment des chorégraphies plutôt que des scénarios.

J’avais une image clé : c'était l'image de deux jeunes garçons qui courent dans de grands champs de fleurs. C’est la première image qui est venue et que j'ai collée sur le mur derrière moi parce que quand je crée, j'essaie de faire d’abord un collage de choses. Et je pense qu’inconsciemment, cette image est une image de ma propre enfance. C'est une image qui a une certaine qualité nostalgique parce que je relie cette image avec une amitié que j'avais quand j'étais jeune. On courrait dans la nature. Moi, j'ai grandi dans la campagne flamande et, j'étais entouré de champs et de champs de fleurs.

L’écriture de ce nouveau film m’a permis de rentrer dans ma propre mémoire, parce que je voulais faire quelque chose sur ce passage très spécifique, très court et très fragile, entre l'état d'enfant et l'état d'adolescent, que je savais que le public avait vécu. J’ai commencé à analyser cette image plus consciemment et j'ai vu qu'il y avait plein de choses dans cette image qui pouvaient être importantes pour le film. J’ai commencé à comprendre que ça n’était plus un film uniquement sur cette période de l’enfance à l’adolescence, mais aussi sur l’amitié et sur le souvenir d’une amitié. Et cette image de fleur, pour moi, c'était une image presque iconique d'une enfance parce que ces deux jeunes garçons, c’est comme s’ils se retrouvaient dans un livre de coloriage. Et, pour moi, c'était un peu une image clé, celle d'une innocence, d'une enfance.

Quand je pensais à une structure, à une dramaturgie, je voyais aussi que les fleurs pouvaient montrer le passage du temps. C'est quelque chose comme un cycle, un cycle de vie, un cycle de mémoire. Et aussi, pour moi, la fleur est un peu le symbole de la fragilité, et plus je pense au film, plus je pense que c’est un film qui parle d'un univers fragile, qui tout d'un coup est interrompu par l'arrivée de la brutalité. Et je voyais là que je pouvais montrer dans ce décor le passage de la brutalité à la fragilité. Et le scénario a aussi été écrit durant ce moment très spécifique qu’a été la pandémie, qui nous a fait beaucoup réfléchir sur des moments où on était plus libres, où on pouvait être ensemble.

Vous parlez de relations d'amitié mais c'est plus que ça. C'est une relation fusionnelle et c'est bien pour ça qu’à un moment elle devient problématique ?

Lukas Dhont : On vit dans une société dans laquelle la brutalité est très visible, plus visible qu’une caresse ou une tendresse, malheureusement ! Après il y a cet âge chez les jeunes garçons où ils comprennent qu’ils n’ont pas le même espace pour exprimer leurs sentiments et leur tendresse que chez les filles. On lit le monde des émotions plutôt à la féminité qu’à la masculinité. Et donc je pense qu’il y a ce moment où les jeunes garçons comprennent que l'indépendance, être plutôt dans la compétition, être plus stoïque émotionnellement, sont tous des traits liés à la masculinité, et que l'intimité sensuelle, la fusion n’est pas valorisée au même niveau.

Je pense qu’on est d’accord pour dire qu’il y a une vraie crise de la masculinité. Quand on regarde le journal le soir, on voit les hommes qui combattent, on voit les hommes qui abusent de leur pouvoir mais en fait, on voit rarement la tendresse dans cet univers masculin et je pense que c'est assez nécessaire. Ce film, c’est un microcosme de ce qui se passe dans le reste de la société. On interprète immédiatement l’intimité et la fusion entre deux garçons comme quelque chose lié à la sexualité.

Ça n’est pas tout à fait dans ce sens que je posais cette question, mais plutôt par rapport au rejet de Rémi face au groupe dans lequel Léo aimerait s’intégrer et l’invite d’ailleurs à s’intégrer avec lui. C’est en cela que je parle de relation fusionnelle et problématique.

Lukas Dhont : Je pense qu’il y a un âge où l’attirance du groupe et la volonté d’appartenir à un groupe est très forte. Léo, c'est quelqu'un qui voit dans les autres garçons autour de lui quelque chose qu’il veut copier. Quand on grandit, on est tous confrontés à des stéréotypes et des archétypes de genre autour de la sexualité. Et Léo dans cette cour d’école, il a envie d’appartenir à ce groupe de garçons. Il ne dit pas à Rémi de ne pas appartenir à tout cela, mais en même temps, il change ! Et ce sentiment-là, c'est quelque chose de très universel, parce que on est tous à un certain moment dans une amitié où l’autre change, fait quelque chose qu’on ne comprend pas, et je pense que ce sentiment brise le cœur.

C'est un thème beaucoup traité, dans les histoires d’amour, mais ce n’est pas beaucoup traité en relation avec les amitiés, alors que je pense que les amitiés qui changent, ça peut nous briser le cœur très fort. Après, on peut discuter de la volonté du personnage d’appartenir à ce monde plus stéréotypé, à quel point c'est vraiment quelque chose qu'il veut ou à quel point c'est une pression d'une société qui lui demande d’être comme ça. Le film reste ouvert là-dessus.

A propos de laisser libre cours aux interprétations des spectateurs, on en sait finalement assez peu sur Rémi. La manière de filmer change dans la deuxième partie du film et se concentre beaucoup sur les expressions de Léo. Comme si même dans les scènes d’actions on tentait d’analyser ce qu’il pensait vraiment.

Lukas Dhont : Dans cette deuxième partie, on a tenté de traiter ce sentiment de culpabilité, qui est pour moi un thème extrêmement physique. Quand tu es enfant ou adolescent se sont des choses que tu ressens pour la première fois, et où tu comprends qu’il y a des choses que tu fais qui ont des conséquences et qui peuvent faire du mal. C'est un sentiment qui nous enferme, parce que c’est quelque chose dont on a honte et qu’on n'ose pas exprimer. C'est quelque chose qui s'installe dans notre corps et qui, chez beaucoup d’entre nous, reste dans notre corps toute notre vie et ça, c'est un poids énorme. Et je pense que je voulais parler de ce poids.

On le montre déjà je pense dans le costume de hockey sur glace qui est un costume qui marche dans la première partie pour d’autres raisons, mais dans la 2e partie, ce costume enferme vraiment avec un masque devant les yeux. Et je pense que de la même manière, la mise en scène enferme un peu le personnage principal parce qu’il n’arrive pas à établir des liens avec les personnes autour de lui.  Dans la première partie, dans les premières 15 minutes, les deux garçons sont constamment ensemble, il y a une connexion physique énorme, au contraire de la deuxième partie où là il y a un manque de contact total. Et je pense que c'est pour ça que la caméra reste très proche de son visage dans cette partie-là.

Comment s’est déroulé le casting ? Où avez-vous trouvé les deux jeunes acteurs ? (Eden Dambrine et Gustav De Waele)

Lukas Dhont : On a longtemps cherché et j’ai fini par trouver le rôle principal d’une manière assez particulière : j'étais dans un train d’Anvers à Gand et à côté de moi, il y avait un jeune garçon avec un visage angélique et de très grands yeux. Il était en train d'exprimer plein de choses à ses copines et je me disais, « waouh, c'est vraiment quelqu'un de très intéressant ». Je lui ai demandé s'il voulait faire un casting pour du cinéma et il a dit oui.

Pour l’autre garçon, à un moment donné je suis allé voir dans toutes les écoles de Bruxelles, Anvers, Gand, partout... Et dans une classe, il y avait Gustav. Ce qui a été fort avec Gustav, c'est qu’il avait vraiment un côté très mystérieux. Il a un look iconique de jeune garçon qui m’intriguait. On a organisé ensuite des jours de casting complets pour voir durant la journée comment ils évoluaient. Un jour Gustav et Eden étaient ensemble et très vite on a vu leur collaboration s’installer, leur envie, leur désir et on les a choisis.

Amande Dionne Envoyer un message au rédacteur

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