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INTERVIEW

FLEUR DU MAL (LA)

© Patrice Riccota

Lorsqu'on lui demande d'où est venue cette idée d'endosser un crime qu'on a pas commis, Claude Chabrol répond qu'il s'est souvenu d'un fait divers ayant eu lieu aux USA vers les années 1910, où une fille dite 'jeune fille à la hache', avait été accusée d'avoir tué ses parents, mais avait été relâchée faute de preuves.

Il s'agissait pour lui de se penser sur la manière de vivre cela jusqu'à 80 ans, et il est apparu évident que c'était 'sans y penser', car le fait d'y penser redonne à l'acte une présence au présent. Il a donc souhaiter traiter du thème de la transmission.

Il a souhaité dire qu'on peut vivre avec, mais qu'un jour, on peut décider de " jouer " officiellement son rôle, en s'accusant du crime. C'est une manière pour le personnage de Suzanne Flon de s'accomplir dans sa vraie nature. Pour Nathalie Baye c'est aussi une façon de dire qu'elle ne veut pas que sa nièce vive la même chose. Chabrol, lui, pense que c'est plutôt l'inverse, qu'elle souhaite que sa nièce vive la même chose, sachant qu'elle n'est pas cette fois-ci seule, mais qu'elle est entourée.

Il y a deux menaces dans le film, mais elles ont toutes les deux la même valeur. D'une part l'arrivée du tract (et de son porteur). D'autre part l'arrivée du mari à la fin. Toutes deux se font vues de dos, dans le jardin d'hiver.

Si l'on suppose que c'est l'absence de sentiment de culpabilité des personnages dans le film qui en fait des bourgeois " d'une effrayante normalité ", il rajoute que depuis 1792, c'est la bourgeoisie qui dirige, que le système fonctionne pour elle (y compris dans ses arrangements), et que peu à peu tous les garde-fou disparaissent avec le temps (la morale, la religion…), laissant place au vide d'ici quelques dizaine d'années.

La notion de révolution lui paraît amusante, car il est difficile de faire la révolution contre les révolutionnaires eux mêmes. La remise en question fait donc partie des faux-semblants : se remettre en question et continuer sur le même chemin est assez ironique. Il est pour lui intéressant d'observer le goût du pouvoir, de l'avoir, de la continuité, chez les bourgeois.

Quand quelqu'un lui demande s'il juge le monde au travers de ses personnages, il répond que non. Que " personne ne naît juge ", et que même Eric De Montgolfier, procureur " qui s'élève carrément ", avoue que la justice est toute relative.

Pour Nathalie Baye, sa vision de la politique est assez juste. Le politique est presque fatalement caricatural. Quand son personnage arrive dans le HLM, elle n'y comprend rien, elle dit des choses à la fois maladroites et déplacées. Mais elle y met de la bonne volonté, il n'y a pas de méchanceté là derrière.

Concernant le choix des acteurs, Claude Chabrol a tout de suite pensé à Benoît Magimel, Nathalie Baye et Suzanne Flon. Il n'a pas cependant écrit spécifiquement pour eux, car cela risquerait de les enfermer dans un carcan. Pour les autres le choix était moins évident, y compris pour Thomas Chabrol. Mélanie Doutey, elle, ' a une tête de bordelaise étudiante en psychologie'.

Dans son texte, il avoue qu'il laisserait bien part à des propositions, mais que les acteurs n'en font pas. Il est cependant bien évident pour lui que lorsqu'une phrase pose problème, qu'un acteur n'arrive vraiment pas à la dire, on la change, car 'elle n'est pas écrite pour être dite'.

Nathalie Baye a tout de suite aimé le scénario, le personnage de femme politique l'amusait, la touchait, même si elle a un côté insupportable, elle s'agite avant tout pour garder la tête hors de l'eau. Si elle s'arrête, elle tombe. En définitive, elle va au combat avec de la vaillance.

Benoît Magimel avait lui aussi un grand désir de travailler avec Claude Chabrol, mais il trouvait son personnage un peu passif, les femmes ayant généralement le beau rôle dans son cinéma. Son personnage, qui revient à la maison, est plutôt en position de sondage, puis il s'intègre, les choses vont d'elles mêmes, il se laisse guider jusqu'à reprendre la place du père. Il maîtrise très bien l'hypocrisie. Son père par exemple, n'a jamais compris qu'il ne l'aimait pas.

Enfin, s'exprimant sur le titre, Claude Chabrol conclue avec humour, affirmant que les deux mots ont déjà fait leurs preuves ensemble, et que le problème était de rester modeste. Il a donc 'enlevé la multiplicité'.

Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur

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