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DOSSIERIl était une fois

IL ÉTAIT UNE FOIS… Beetlejuice

Il y a près de 35 ans (déjà !), Tim Burton sortait son deuxième long métrage, rapidement devenu un film culte : "Beetlejuice". Retour sur la conception et l’accueil de ce chef d’œuvre, qualifié de « feel-good movie sur la mort » par le scénariste Michael McDowell et de « version burlesque de "L’Exorciste" » par Burton lui-même.

Après un premier test réussi en 1985 avec "Pee-Wee Big Adventure" (plus de 40 millions de dollars de recettes aux États-Unis pour un budget de 6 millions), Tim Burton devient « bankable » et peut surfer sur la vague. Il cherche donc un projet pour son deuxième long métrage, de nombreux scénarios lui passent entre les mains (dont l’un intitulé "Hot to Trot" impliquant un cheval parlant) mais rien ne l’emballe. Pour patienter, il tourne un épisode de la série d’anthologie "Alfred Hitchcock présente" : "Le Bocal" ("The Jar" en VO). Or, c’est du même scénariste, Michael McDowell, d’abord connu comme romancier d’horreur, que lui parvient ensuite le script de "Beetlejuice", au moment où le réalisateur est, selon ses propres dires, « en train de piquer une crise de nerfs » tant il est frustré de ne pas trouver scénario à son pied !

Burton est immédiatement séduit par cette histoire qui lui est transmise par David Geffen, le célèbre producteur de musique et de cinéma. C’est donc la Geffen Company, filiale de la Warner, déjà productrice entre autres de "La Petite Boutique des horreurs" de Frank Oz en 1986, qui finance le film. Après avoir co-conçu l’histoire avec le producteur Larry Wilson (qui sera aussi à la co-écriture de "La Famille Addams" en 1991), Michael McDowell développe et retouche le scénario en collaboration avec Warren Skaaren (script doctor ayant aussi été producteur associé sur "Top Gun" puis qui sera co-scénariste du "Batman" de Burton). C’est Skaaren qui a par exemple l’idée de faire réagir les personnages à des chansons mais il envisage d’utiliser des titres de la Motown un peu comme ceux utilisés dans le film "Les Copains d’abord" de Lawrence Kasdan (1983) ; Burton conserve le concept mais préfère s’orienter vers des chansons de Harry Belafonte (notamment "Day-O" dans une scène de repas devenue culte).

Notons que certaines sources affirment à tort que Burton était déjà sur les rangs pour l’adaptation de "Batman" et que les retards du projet l’auraient conduit à faire un autre film (donc "Beetlejuice") ; en fait, Burton a été approché pour l’adaptation du comics au moment de la préproduction de "Beetlejuice" – il raconte par exemple qu’il avait affublé Beetlejuice d’oreilles de chauve-souris dans une séquence alors qu’il n’avait « aucune idée qu’il allait fait "Batman" ». Dans tous les cas, il semble bien que le scénariste Sam Hamm soit régulièrement venu retrouver Tim Burton sur le tournage de "Beetlejuice" pour potasser le script de "Batman". Fin de la parenthèse, revenons à nos moutons de l’au-delà !

Il était une fois Beetlejuice affiche 30 ans

© Warner Bros.

Côté casting, Tim Burton souhaite d’abord attribuer le rôle-titre à l’acteur et musicien afro-américain Sammy Davis Jr. mais David Geffen lui suggère d’engager Michael Keaton. Le réalisateur ne le connaît pas, accepte de le rencontrer et comprend instantanément qu’il serait parfait pour le personnage. Keaton refuse pourtant dans un premier temps, d’une part parce qu’il n’est pas séduit par le scénario et d’autre part car il vient d’enchaîner quatre tournages. C’est sans compter sur l’envie et la ténacité de Burton qui, pour le convaincre, offre à l’acteur la possibilité de s’approprier pleinement le personnage. Keaton lui-même participe donc à l’élaboration de son rôle, étant par exemple à l’origine de son look clochardesque ou de son goût pour les blattes. Trois semaines sont nécessaires pour créer l’apparence et les diverses caractéristiques du personnage. Notons au passage un fait plutôt surprenant : le personnage de Beetlejuice n’est pas si central que ça dans le film qui porte pourtant son nom, puisqu’il n’apparaît, en tout et pour tout, que 17 minutes !

Pour le reste de la distribution, Tim Burton essuie de nombreux refus, à l’exception de Geena Davis qui exprime immédiatement son envie de participer au film. Après avoir été séduit par la « présence forte » de Winona Ryder dans "Lucas" (son premier rôle au cinéma), le réalisateur doit insister pour obtenir l’accord de la jeune actrice après qu’on lui a rapporté qu’elle est rebutée par l’apparence « satanique » du script, information qui s’avère fausse lorsqu’il parvient à la rencontrer ! Derrière la caméra, Tim Burton retrouve quelques collaborateurs antérieurs comme le compositeur Danny Elfman (déjà compositeur sur son premier long), le directeur de la photographie Thomas E. Ackerman (déjà responsable de l’image sur le court métrage "Frankenweenie"), Rick Heinrichs, collaborateur de longue date de Burton (dès les courts métrages "Vincent", "Hansel and Gretel" et "Frankenweenie"), cette fois consultant en effets visuels, ou encore Aggie Guerard Rodgers, qui a déjà créé les costumes de "Pee-Wee Big Adventure" (ainsi que ceux des films "American Graffiti", "Le Retour du Jedi", "L’Invasion des profanateurs" ou "La Couleur pourpre", ce dernier lui ayant valu son unique nomination aux Oscars). Il s’entoure également de nouvelles personnes avec lesquelles il a envie de travailler comme le décorateur Bo Welch (qui créera également les décors d’"Edward aux mains d’argent" et de "Batman, le défi") et le superviseur d’effets visuels Alan Munro, lequel participe aussi au storyboard.

Un tournage « à l’ancienne »

À l’exception de dix jours en extérieur à East Corinth, dans le Vermont, le tournage se déroule en studio à Culver City, en Californie. Il s’étale sur dix semaines, de mars à juin 1987, dans des conditions techniquement hyper exigeantes mais avec une équipe ultra motivée. Sur un budget d’au moins 13 millions de dollars (certaines sources parlent de 15), un seul est alloué à la création des quelques 300 trucages envisagés. À la fois par choix artistique et à cause de cette contrainte budgétaire, Tim Burton souhaite créer la plupart des effets au moment du tournage – et non en post-production. Il estime que cela confère plus d’humanité à son film, même s’il concède que cela peut être considéré comme « un pas en arrière » au regard des évolutions technologiques de son temps. Rick Heinrichs admet que le défi est alors « terrifiant et épuisant » pour l’équipe.

Les méthodes utilisées sont parfois dignes du cinéma muet ou des créations de Ray Harryhausen, et de nombreux problèmes techniques interrompent régulièrement le tournage. Malgré les contraintes, Burton et son équipe ne se posent pas vraiment de limites et s’amusent réellement. Le réalisateur prend un malin plaisir à « conceptualiser les idées les plus idiotes qui soient » et il fait fi de certaines incohérences (comme le fait que les Maitland n’aient aucune séquelle physique de leur accident alors que, dans la salle d’attente de l’au-delà, les autres défunts sont tous marqués par des stigmates en lien avec les circonstances de leur mort). Il abandonne toutefois des idées s’il les considère « trop fausses » à son goût, comme un serpent qui, selon lui, « ne fonctionnait pas » dans l’univers créé pour le film.

Le titre du film, quant à lui, aurait pu être différent. Initialement, le scénario était intitulé "Betelgeuse", d’après l’étoile du même nom. C’est d’ailleurs bien ainsi que le nom du personnage est écrit dans le film, par exemple sur sa pierre tombale. Entre autres pour des questions de prononciation plus facile en anglais, le nom évolue vers « Beetlejuice », proposé par Michael McDowell. La Warner, maison-mère de la Geffen Company et distributeur du film, accepte mal ce titre peu ragoûtant (littéralement, « jus de blatte », ça n’est a priori guère vendeur !) et tente de convaincre Tim Burton de trouver une autre idée. Pour blaguer, ce dernier propose "Frayeurs sous les draps" puis "Fantômes de maison", mais le titre "Beetlejuice" est finalement accepté – ouf !

Un gros succès et plusieurs adaptations

Il était une fois Beetlejuice comics couverture

© Harvey Comics

"Beetlejuice" est un gros succès, rapportant plus de 73 millions de dollars en salles aux États-Unis (en France, il dépasse les 600 000 entrées). Côté critique, l’accueil est plutôt positif également, mais cela n’empêche pas certains avis plus mitigés voire méprisants, par exemple de la part du célèbre Roger Ebert qui estime que le début est bon mais qu’ensuite, « l’histoire, qui paraissait originale, tourne au sitcom rempli de tonnes d’effets spéciaux et de décors et accessoires bizarres, et [que] l’inspiration disparaît ». Parmi les critiques élogieuses, citons par exemple celle de Nicolas Saada dans "Les Cahiers du cinéma", qui loue l’humour noir « qui fonde les gags sur une manière très originale de rendre le fantastique ordinaire et le quotidien monstrueux », ou celle d’Aurélien Ferenczi qui estime dans "Télérama" qu’« épouvante, burlesque et grotesque se mêlent en un carnaval étonnant ». Le film remporte par ailleurs quelques prix dont l’Oscar du meilleur maquillage (pour trois lauréats dont Ve Neill, qui est ensuite à nouveau récompensée pour "Madame Doubtfire" et "Ed Wood") et trois Saturn Awards (meilleur film d’horreur, meilleure actrice dans un second rôle pour Sylvia Sidney, meilleur maquillage).

Le film connaît aussi quelques déclinaisons, d’abord avec une série d’animation composée de 94 épisodes diffusés de 1989 à 1992 (en France, on l’a découverte à partir de 1990 dans l’émission "Décode pas Bunny" sur Canal+), puis divers produits dérivés : des comics, un jeu de société, trois jeux vidéo, et plus récemment une comédie musicale (2018). Le scénario d’une suite, intitulée "Beetlejuice in Hawaii", a été écrit dès 1990 par Jonathan Gems (le scénariste de "Mars Attacks!") mais le projet a été définitivement abandonné en 1997.

Depuis 2011, Tim Burton évoque à nouveau, de façon récurrente, la possibilité de réaliser une suite avec Michael Keaton et Winona Ryder , et l’actrice confirmait sa participation dès 2015, mais rien ne semble aboutir pour l’instant. Les dernières informations (ou simples rumeurs ?) font état, début 2022, d’une nouvelle impulsion de "Beetlejuice 2" avec l’implication de Plan B Entertainment, la société de production de Brad Pitt. Des fans sont par ailleurs persuadés, sans la moindre preuve concrète, que Johnny Depp ferait partie de l’aventure ! Encouragé par ces possibles développement, le graphiste Alex Murillo a récemment imaginé de très belles affiches pour ce film encore hypothétique (visibles sur son site). Toutefois, rien n’est officiel à ce jour et Burton lui-même se contente de déclarer qu’il y a des idées mais rien de concret. Affaire à suivre…

Informations

Les principales sources utilisées pour l’écriture de cet article sont les ouvrages "Burton on Burton" par Mark Salisbury (dans son édition originale de 2000) et "Tim Burton, itinéraire d’un enfant particulier" de Ian Nathan (dans son édition française de 2019).

Raphaël Jullien Envoyer un message au rédacteur

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