Bannière Festival de Sarlat 2024

DOSSIERMusique

MUSIQUE ET CINÉMA : Les chansons dans les films de Tim Burton

Le cinéma de Tim Burton est indissociable des musiques de son acolyte Danny Elfman, qui a composé les bandes originales de la quasi totalité de ses longs métrages. Mais les films de Burton savent aussi utiliser diverses chansons, préexistantes ou inédites. Passage en revue de quelques exemples.

Ayant choisi de nous concentrer sur l’utilisation des chansons dans les films qui n’ont pas vocation à mettre celles-ci au premier plan, nous avons laissé de côté ce qui se rapproche des comédies musicales. Nous ne parlerons donc ni de "L’Étrange Noël de monsieur Jack", ni des "Noces funèbres", ni de "Sweeney Todd", ni des chansons des Oompa Loompas dans "Charlie et la Chocolaterie".

"Tequila" (1958) dans "Pee-Wee Big Adventure" (1985)

Premier long métrage de Tim Burton, "Pee-Wee Big Adventure" réutilise entre autres un tube des années 50 : "Tequila" du groupe The Champs, avec sa célèbre mélodie au saxophone. Dans la scène concernée, le héros, Pee-Wee Herman, est dans un bar de bikers, qui menacent de le tuer après qu’il a accidentellement fait tomber toutes leurs motos avec un malencontreux effet domino. Pee-Wee réclame alors une dernière volonté, ce que les motards lui accordent. Il se dirige vers un juke-box, sélectionne la chanson "Tequila", enfile des chaussures à talons et monte sur une table pour improviser une chorégraphie. Il obtient un tel succès auprès des bikers que ceux-ci finissent par lui faire un triomphe et par le laisser partir en lui souhaitant bonne chance dans sa quête (rappelons qu’il recherche son précieux vélo, qu’on lui a volé). Cette scène est représentative du mélange de folie et de non-sens qui caractérisent Pee-Wee Herman. Et accessoirement, ce film a contribué à impulser une nouvelle notoriété pour cette chanson dans les années 80.

"Burn in Hell" (1985) dans "Pee-Wee Big Adventure" (1985)

Dans une séquence de course-poursuite à travers les studios Warner de Burbank, alors que le héros vient de récupérer son vélo, celui-ci perturbe plusieurs tournages dont celui d’un clip de Twisted Sister. Le chanteur, Dee Snider, regard caméra, se trémousse (à quatre pattes, à genoux ou couché) sur le capot d’une Cadillac décapotable dont émergent les autres musiciens du groupe de glam metal, alors que des danseuses se dandinent en marchant de part et d’autre de la voiture qui roule au ralenti. Lorsque Pee-Wee arrive face à eux, la grue qui transporte le caméraman doit s’élever pour éviter le choc, le héros bifurque au dernier moment devant le véhicule puis tous les occupants fuient avant que ne s’encastrent dans la Cadillac, successivement, un bateau, un traîneau de père Noël et une personne en costume de dinosaure. Bref, du non-sens burlesque qui tranche avec le titre de la chanson, "Burn in Hell", composée spécialement pour le film.

"Day-O" (1956) dans "Beetlejuice" (1988)

S’il y a UNE scène burtonienne avec chanson à retenir, c’est bien celle de "Beetlejuice" avec le titre "Day-O" (également intitulé "The Banana Boat Song") dans la version célèbre de Harry Belafonte (qui n’est pas son interprète initial puisqu’il s’agit d’un chant populaire jamaïcain). Situons la séquence dans le film : après leur mort par accident, Adam et Barbara Maitland doivent hanter leur propre maison, laquelle est rachetée par Charles et Delia Deetz ; lorsque ces derniers reçoivent des amis pour un dîner et que la discussion évoque la possible présence de fantômes dans la demeure, Delia (incarnée par Catherine O’Hara) refuse de parler de cela et déclare qu’elle « préfère parler de… » mais ne parvient pas à terminer sa phrase. En effet, elle est soudainement possédée par lesdits fantômes qui lui font chanter "Day-O" en playback, sans qu’elle puisse contrôler quoi que ce soit, hormis son regard qui trahit un mélange d’épouvante et de stupéfaction (au passage, applaudissons l’incroyable performance de l’actrice !). Les convives sont à la fois surpris et amusés, son mari (Jeffrey Jones) regarde sous la table pour tenter de comprendre le « truc » en cherchant la source de la musique, puis tous les personnages sont à leur tour contrôlés par les Maitland, qui les manipulent telles des marionnettes et les font danser autour de la table. La séquence, une des plus hilarantes de toute la filmographie de Tim Burton, est évidemment associée à jamais au tube de Belafonte pour quiconque a vu "Beetlejuice".

"Jump in the Line" (1961) dans "Beetlejuice" (1988)

Comme si cela ne lui suffisait pas de réutiliser "Day-O", Tim Burton intègre trois autres chansons de Harry Belafonte dans "Beetlejuice" dont "Jump in the Line" (également appelé "Shake, Senora", là aussi reprise puisque la chanson originale est un calypso trinidadien de Lord Kitchener). La scène, qui précède le générique de fin, n’est pas aussi culte que celle du repas, mais elle est tout aussi joyeuse. On y voit la fille des Deetz, Lydia (jouée par Winona Ryder), danser en lévitation dans son uniforme de lycéenne. Contrairement aux personnages de l’autre séquence, Lydia, une ado plutôt gothique, n’est pas effrayée et pour cause : alors que le couple Maitland est invisible pour la plupart des mortels, elle a toujours été capable de les voir et elle est rapidement devenue leur amie et alliée. Ainsi, dans cette scène, c’est à sa demande et pour s’amuser qu’elle est propulsée dans les airs grâce aux pouvoirs de ses potes fantômes. Et c’est magique et revigorant pour le public également !

"Partyman" (1989) dans "Batman" (1989)

Les chansons dans les films de Tim Burton Prince

Prince en 1986
© Yves Lorson (license CC-BY-2.0)

En-dehors de la partition instrumentale de Danny Elfman, ce premier "Batman" contient plusieurs titres composés et interprétés par Prince spécialement pour le film – pour la petite histoire, il était d’abord prévu de seulement utiliser deux titres préexistants de l’artiste. Parmi eux, retenons "Partyman", qui intervient lors de la scène du musée Flugenheim de Gotham City. Après avoir endormi tout le monde avec un gaz, le Joker (Jack Nicholson) et ses hommes de main pénètrent dans le musée et le boss dit à ses gars : « élargissons notre esprit ». Il demande ensuite à l’un d’eux, Lawrence (George Lane Cooper), un grand gaillard moustachu portant un gros ghetto-blaster sur l’épaule, de lancer la musique. Retentissent alors les notes de "Partyman" et la bande sabote diverses œuvres d’art tout en dansant (on reconnaît au passage plusieurs chefs d’œuvre non fictifs comme un autoportrait de Rembrandt, des danseuses par Degas, ou encore "Figure with Meat" de Francis Bacon, que le Joker décide d’épargner). La scène illustre à merveille la mégalomanie et la grandiloquence du Joker.

"With These Hands" (1965) dans "Edward aux mains d’argent" (1990)

"Edward aux mains d’argent" contient trois chansons de Tom Jones, dont "With These Hands" (reprise d’un titre datant de 1951), qui intervient lorsque Joyce (incarnée par Kathy Baker) attire Edward (Johnny Depp) dans l’arrière-boutique du salon de coiffure qu’elle lui suggère d’ouvrir, afin de le séduire. Elle l’allonge de force et enclenche un radio-cassette qui diffuse le slow langoureux de Tom Jones, aux paroles plus qu’évocatrices (« avec ces mains, je m’accrocherai à toi »). Joyce minaude, prend des postures dignes d’un striptease, lance à Edward des regards fougueux, avant de se glisser petit à petit sur le corps du jeune homme qui reste à la fois de marbre et naïf, ne sachant pas où mettre ses mains (évidemment, avec ses ciseaux, la gêne est accentuée, mais c’est signifiant). Puis, alors que Joyce a dévoilé sa lingerie par un mouvement de fermeture-éclair et se penche sur Edward pour l’embrasser, le siège bascule, la tentative de relation sexuelle est avortée et l’incident libère le jeune homme qui en profite pour s’enfuir. La chanson de Tom Jones accentue ce qui apparaît comme une parodie de scène de séduction mais qui est également tout autre chose : l’agression sexuelle d’un innocent par une adulte qui profite de sa vulnérabilité – la séquence est d’autant plus décalée qu’elle inverse les stéréotypes, avec une femme abusant d’un homme.

"Face to Face" (1992) pour "Batman, le défi" (1992)

Pour "Batman, le défi", Tim Burton fait appel à un groupe qu’il adore, Siouxsie and the Banshees, estimant que la chanteuse Siouxsie Sioux est « l’une des rares femmes à pouvoir créer un son réaliste et primal de chat ». Quoi de mieux, en effet, pour un film mettant en scène Catwoman ? En collaboration avec Danny Elfman, le groupe crée ainsi "Face to Face", slow de rock alternatif teinté de new wave. Le titre intervient dans une scène-clé du film, quand Bruce Wayne (Michael Keaton) et Selina Kyle (Michelle Pfeiffer) se retrouvent dans un bal masqué où, symboliquement, ils sont les seuls à ne pas porter de masque. Auparavant, ils ont entamé une relation intime alors que, cachés derrière leurs costumes respectifs de Batman et Catwoman, ils se sont violemment affrontés. Cette séquence, durant laquelle ils dansent l’un contre l’autre, est donc l’occasion d’un nouveau face-à-face (« face to face » donc) qui fera tomber les masques.

"Indian Call Love" (1952) dans "Mars Attacks!" (1996)

Les chansons dans les films de Tim Burton Alice Cooper Slim Whitman

Slim Whitman en 1968
© Wil-Helm Agency - Fabry, Nashville (domaine public)

Voilà un des plus célèbres cas de chanson intégrée à la mise en scène de Tim Burton : "Indian Call Love" par Slim Whitman (reprise d’une chanson populaire issue de l’opérette "Rose-Marie" datant de 1924). Ce titre de country utilisant le yodel – technique de chant alternant voix de poitrine et voix de tête, à l’origine typique des régions alpines germanophones – devient, dans ce film de science-fiction parodique, l’arme ultime des humains pour se débarrasser des envahisseurs martiens ! Illustration musicale de l’esprit décalé et délicieusement absurde de "Mars Attacks!", cette chanson a en effet le pouvoir de faire exploser le cerveau des Martiens, ce que découvrent par hasard Richie et sa grand-mère (incarnés par Lukas Haas et Sylvia Sidney – cette dernière jouant ici son dernier rôle au cinéma, après avoir déjà tourné pour Burton dans "Beetlejuice"). Ce choix, ouvertement kitsch comme bien d’autres aspects du film, peut apparaître comme une sorte de pendant absurde des retournements de situation que l’on peut trouver à la fin de certains classiques de science-fiction (on peut penser par exemple à "La Guerre des mondes" où les extra-terrestres sont soudainement terrassés par des microbes terriens, donc sans réelles prouesses de la part des humains !).

"It’s Not Unusual" (1965) dans "Mars Attacks!" (1996)

Les chansons dans les films de Tim Burton Tom Jones

Tom Jones en 1969
© ABC Television (domaine public)

Tim Burton avait déjà utilisé "It’s Not Unusual" de Tom Jones dans "Edward aux mains d’argent" et il récidive dans "Mars Attacks!", avec la manière : Tom Jones lui-même, qui joue son propre rôle, la chante sur scène dans un casino de Las Vegas. Le concert se déroule normalement quand soudain, à la faveur d’un jeu de lumière, les choristes sont remplacées par trois Martiens qui reprennent vaguement l’air avec leur fameux « ak ak ak » avant de dégommer le public au laser. Le titre (« ce n’est pas étrange ») prend alors un tout autre sens. Dans la dernière scène du film, on retrouve Tom Jones, réfugié dans un canyon et entouré de divers animaux sauvages, qui danse sur les premières notes de la chanson, laquelle continue sur le générique de fin.

"Let’s Work Together" (1970) dans "Big Fish" (2003)

Dans "Big Fish", on entend de nombreuses chansons, dont "Let’s Work Together", un des tubes du groupe Canned Heat (adaptation blues-rock d’un titre de rhythm and blues, intitulé "Let’s Stick Together" dans son premier enregistrement par Wilbert Harrison en 1962). Dans le film, cette chanson intervient lorsqu’Ed Bloom (Ewan McGregor) retrouve par hasard le poète Norther Winslow (Steve Buscemi) dans une banque. Le titre de Canned Heat démarre lorsque Winslow révèle à Bloom qu’il est là pour un braquage, qu’il déclenche aussitôt. Sans lui demander son avis en amont, l’ex-poète/néo-criminel présente le héros comme étant son complice et ne laisse guère de choix à ce dernier qui participe à contre-cœur à sa vile entreprise. Le rythme de la chanson est parfait pour le côté improvisé de cet étrange hold-up et le titre joue ironiquement avec la situation : « travaillons ensemble », c’est à peu près ce que propose Winslow… si l’on peut parler de « travail » !

"Macarena" (1995) dans "Charlie et la Chocolaterie" (2005)

Le tube de l’été de Los del Río est sans doute l’utilisation de chanson la plus inattendue et la plus furtive de toute la filmographie de Tim Burton ! Lorsque Willy Wonka (Johnny Depp) présente son invention ayant pour but de distribuer des barres de chocolat par l’intermédiaire de la télévision, un Oompa-Lompa (Deep Roy) est assis face à un écran avec une télécommande. Lorsque celui-ci zappe, le premier changement de programme nous fait brièvement entendre la "Macarena" (à peine deux secondes) avant que n’arrive un extrait de "2001, l’Odyssée de l’espace". La transition avec le film de Kubrick est saugrenue, comme l’est finalement tout l’univers de Willy Wonka. Le choix musical est finalement assez logique !

"Ballad of Dwight Fry" (1971) dans "Dark Shadows" (2012)

Les chansons dans les films de Tim Burton Alice Cooper

Alice Cooper en 2022
© Raph_PH (license CC-BY-2.0)

Après Twisted Sister et Tom Jones, c’est au tour d’Alice Cooper de faire une apparition dans son propre rôle dans un film de Tim Burton. Il y est invité par Barnabas Collins (Johnny Depp) pour un une soirée où il se produit en concert. Alice Cooper interprète "No More Mr. Nice Guy" puis "Ballad of Dwight Fry" en reproduisant son jeu de scène habituel pour ce titre, c’est-à-dire vêtu d’une camisole de force. Ce choix permet à Tim Burton de faire un clin d’œil indirect à ses propres influences, puisque cette chanson fait référence à l’acteur Dwight Frye, figure du cinéma d’épouvante des années 1930-40, notamment connu pour son interprétation, dans le "Dracula" de Tod Browning (1931), de Remfield, un « maniaque zoophage » (pour reprendre les mots du roman de Bram Stoker) interné en hôpital psychiatrique et victime du comte Dracula. Le titre d’Alice Cooper annonce en fait ce qui va suivre : Barnabas Collins, qui est un vampire, discute avec Victoria (incarnée par Bella Heathcote) qui lui révèle, entre autres, que ses parents l’avaient enfermée dans un asile parce qu’elle disait voir un fantôme – et pas n’importe lequel : celui de Josette, la défunte fiancée de Barnabas, dont elle est par ailleurs le sosie parfait.

"Big Eyes" (2014) dans " Big Eyes " (2014)

Dans "Big Eyes", il y a une chanson originale du même nom écrite et interprétée par Lana del Rey. La musique commence quand Margaret (Amy Adams) parcourt un supermarché (décor ô combien warholien) où elle voit des reproductions de ses tableaux, vendues par son propre mari qui s’approprie publiquement la paternité de son œuvre. C’est précisément à ce moment-là que Margaret commence à ne plus supporter cette situation. À l’image, cela se traduit par l’élargissement des yeux des personnes qu’elle croise dans le magasin, traduisant ainsi le traumatisme désormais trop envahissant de l’héroïne. Les paroles, qui mettent en évidence les tiraillements internes de Margaret, sont entonnées par Lana del Rey quand le montage passe à la scène suivante, qui montre le personnage en train de peindre avec un nouveau style. La chanson-titre du film est donc une façon pour l’héroïne d’ouvrir autant les yeux que les personnages de ses tableaux.

Et plusieurs chansons inédites pour les génériques de fin

Signalons pour finir que Tim Burton a fait appel à divers artistes pour les chansons de fin de certains de ses films : Pearl Jam ("Man of the Hour" pour "Big Fish"), Avril Lavigne ("Alice" dans "Alice au pays des merveilles"), Lana del Rey ("I Can Fly" pour "Big Eyes"), Florence and the Machine ("Wish That You Were Here" à la fin de "Miss Peregrine et les Enfants particuliers" ) et Arcade Fire ("Baby Mine" dans "Dumbo", reprise de la chanson du dessin animé de 1941, connue en VF sous le titre "Mon tout petit").

Raphaël Jullien Envoyer un message au rédacteur

À LIRE ÉGALEMENT