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UNE HISTOIRE DE FOU

Un film de Robert Guédiguian

Des fous dans un monde de fous

Dans l’entre-deux-guerres, Soghomon Thelirian exécute à Berlin Talaat Pacha, l’un des principaux responsables du génocide arménien. Acquitté par le jury populaire, il devient un héros aux yeux de tout un peuple. Soixante ans plus tard, dans les années 1980, à Marseille, le jeune Aram, d’origine arménienne, s’engage dans une action terroriste et participe à un attentat à Paris contre l’ambassadeur de Turquie, lors duquel il fait exploser la voiture de ce dernier et blesse grièvement un cycliste français qui passait par là…

Il est des films qui prennent une dimension nouvelle quand, après les avoir vus, des événements qu’ils traduisent arrivent en vrai dans notre monde, notre pays, notre ville. Ce 13 novembre 2015 restera à jamais gravé dans notre esprit, nos mémoires, alors que nous n’avons pas encore eu le temps de refermer les plaies du 8-janvier. Avec son film "Une histoire de fou", Robert Guédiguian ne parle ni de Daech, ni de la haine des islamistes fanatiques contre notre État de droit et nos libertés de pensée et de vie, mais il l’évoque assurément.

Robert Guédiguian, d’origine arménienne, traite pour la deuxième fois dans sa filmographie de ce peuple massacré il y a tout juste 100 ans, après "Un voyage en Arménie". Il raconte les événements des années 1980 lorsque la lutte armée, pour faire reconnaître le génocide arménien, a organisé des attentats en France et dans toute l’Europe. Qu’avons-nous retenu de ce centenaire ? Que connaissons-nous de ce pays ? Que ressentent les dernières générations d’Arméniens ? Quelles sont les conséquences de la non-reconnaissance du génocide ? Voilà quelques unes des questions que Guédiguian s’est posées et pour lesquelles il apporte sa pierre à l’édifice de la mémoire.

Le réalisateur marseillais choisit la fiction pour son nouveau film. Il dramatise voire « tragédise » – un peu à l’excès ? – son propos en dressant d’un côté le portrait d’une mère qui encourage son fils à défendre ses origines mais qui l’enverra sans le savoir vers un groupuscule armé qui fomentera des attentats en Europe ; de l’autre celui d’un innocent qui devient la victime de l’une des ses attaques et qui se retrouvera paralysé, sa vie détruite mais qui cherchera à comprendre en se documentant sur la lutte de ces soldats puis en décidant d’aller à leur rencontre. Guédiguian, par son propos, démontre que la négation du génocide n’a finalement engendré que des victimes : celles des attentats, innocentes ou non, et celles des familles de celles et ceux qui se sont lancés dans une effroyable lutte armée.

Cette situation entraîne la folie : c’est d’ailleurs un des mots les plus cités du film – outre le fait qu’il soit employé dans le titre –, c’est aussi l’état dans lequel la plupart des protagonistes se retrouvent à un moment ou à un autre. On ressortira ému de la salle face à ces histoires et ces destins brisés, même si on ne prendra pas le même plaisir à tous les découvrir – ceux du fils et de la mère sont plus prenants que ceux du cycliste blessé – et si on aurait bien raccourci de quelques minutes certaines scènes – le film dure malgré tout 2 h 10. On est toujours impressionné par la prestation d’Ariane Ascaride, la fidèle de Guédiguian, et on découvre les belles performances des jeunes Syrus Shahidi et Razane Jammal qui éclosent dans des rôles difficiles mais tenus prestement d’une main de fer et de velours… Ils représentent une génération déracinée, en crise d’identité, qui prend les armes pour se faire entendre et exister… Cela résonne comme un écho aux événements actuels de notre monde contemporain… un monde de fous.

Mathieu PayanEnvoyer un message au rédacteur

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