UNE AFFAIRE DE PRINCIPE
Thèse et synthèse
En 2012, John Dalli, commissaire européen à la santé, se retrouve limogé du jour au lendemain sur la base de motifs suspects, ce qui amène le député européen José Bové et ses assistants parlementaires à mener l’enquête de leur côté. Peu à peu, l’hypothèse d’un complot politique lié aux lobbies du tabac se fait jour, avec des implications potentielles aux plus hautes instances de l’Union européenne…
On a beau s’être depuis longtemps familiarisé avec la mention « Inspiré d’une histoire vraie » qui se voit généralement apposée en début de métrage, voire même n’y voir rien d’autre qu’une tautologie littérale censée ne trouver de pertinence qu’aux yeux des éternels défenseurs du cinéma en tant qu’enregistrement du réel (alors qu’un cadre de cinéma suffit en soi à fictionnaliser une histoire vraie sur tous les aspects), retrouver cette mention en ouverture d’"Une affaire de principe" nous met sur nos gardes. Si les événements et les péripéties du film ont été ouvertement retravaillés et/ou inventés à partir de faits réels, pourquoi avoir conservé les enjeux authentiques et surtout le nom des vrais acteurs de cette tentaculaire affaire ? Loin d’une fiction qui revisiterait tout ou d’un documentaire qui s’en tiendrait aux faits en les creusant le plus possible, le second long-métrage d’Antoine Raimbault (déjà auteur il y a cinq ans d’une relecture pataude de l’affaire Viguier, "Une intime conviction") a un peu le cul entre deux chaises et, jusqu’au bout, peine à se construire une identité claire et précise. C’est d’autant plus dommage qu’au vu de la personnalité mise en avant sur l’affaire et le récit, le souci de cohérence et de respect des faits était de rigueur.
A vrai dire, on ne s’en inquiète pas trop longtemps, dans la mesure où le protagoniste réel du film n’est pas José Bové (incarné par un Bouli Lanners en mode mimétisme) et encore moins son assistant (Thomas VDB), mais davantage cette jeune stagiaire jouée par Céleste Brunnquell. À la fois pivot du récit et point de vue subjectif d’un spectateur néophyte qui investit un univers aux règles inconnues, cette jeune femme exprime d’entrée ce qui aurait dû constituer l’angle réflexif prioritaire du scénario : faut-il chercher à rendre la justice coûte que coûte (c’est ce qui la motive) ou à faire primer le respect du droit (c’est qui motive Bové et les autres) ? La suite du récit exclut d’entrée la possibilité d’un choix entre ces deux options, si ce n’est en penchant parfois d’un côté ou de l’autre en fonction de l’avancée de l’enquête. Au fond, Raimbault s’en tient ici à des faits ressassés de façon didactique – pour ne pas dire carrément pédagogique – à mesure que la stagiaire (c’est-à-dire nous, on insiste !) se voit expliqué par ses nouveaux associés le fonctionnement des instances européennes, les enjeux cachés derrière chaque réunion, la signification de tel ou tel acronyme, et tout un tas d’autres choses à droite et à gauche… Pour ce qui est de tout comprendre dans un univers où les initiés devraient en principe être largués, il n’y a aucun problème, tout apparaît limpide et clair comme de l’eau de roche. Le souci, c’est que cela se fait au détriment du genre subversif dans lequel le film s’inscrit, et qui, de tout temps, s’est caractérisé par ces outils bien plus puissants que sont l’opacité et l’ambiguïté.
Ceux qui s’attendraient à un thriller paranoïaque dans la lignée des "Hommes du Président" ou de "Révélations" (vu qu’il est là aussi question de manipulations sur fond d’enjeux liés au commerce du tabac) auraient tout à gagner à revoir à la baisse leur échelle de valeur. Il n’y a pour ainsi dire rien à extraire de ce film qu’une sensation de propos édicté, ressassé d’une scène à l’autre par un verbe qui n’en finit plus de prendre le dessus sur le pouvoir de l’image, et où toute notion de suspense est systématiquement bannie au profit d’exclamations exprimées par untel (le plus souvent à l’autre bout du téléphone). Comme si l’obstination de Raimbault à masteriser son sujet et à dévoiler le fond véritable de ce scandale à l’échelle européenne ne devait se faire autrement que par un discours. Vu sous cet angle, l’utilité du médium cinématographique est d’autant plus discutable que le montage du film, anormalement concis et rapide (à peine 1h35 !), ne laisse pas le temps au spectateur d’appréhender visuellement et même symboliquement les enjeux et les rapports de pouvoir qui s’activent dans les arcanes de Bruxelles. De là à assimiler "Une affaire de principe" à une sorte de digest téléfilmesque, pour ne pas dire à l’égal filmique d’une page Wikipédia, il n’y a qu’un pas. Et lorsque le récit tente de faire revenir le facteur humain pour élever les enjeux narratifs, ce n’est qu’avec du superflu (dont les problèmes de logement pour Bové et son équipe) ou du hors-sujet (dont un vieux ressort d’ordre romantique entre deux assistants parlementaires).
En définitive, si l’on ne sent jamais le temps passer durant ces 95 minutes (c’est bien), on n’en ressort pas en ayant le sentiment d’avoir englobé la complexité d’un sujet ou d’un fait réel (c’est beaucoup moins bien). Tout semble trop simple à suivre, trop rapide à dénouer, trop avare en blocages retors nécessitant pour les uns et les autres de jouer les Don Quichotte face à un système pourtant incroyablement verrouillé et ordonné (seule grande scène : la lecture ultra-surveillée par José Bové d’un document ultra-secret dans un bâtiment ultra-fermé !). Mais plus embêtant qu’un récit qui filerait tout droit dans un couloir vide et linéaire en se contentant d’enfoncer uniquement l’ultime porte ouverte au fond (celle de la victoire des uns face à l’injustice des autres), c’est cette façon assez agaçante de nous livrer clés en main la thèse, la synthèse et la paraphrase en même temps qui signe à elle seule l’échec de la démarche. Parce que le monde est forcément plus compliqué que ça ? Non, parce qu’il est forcément moins simple que ne le prétendent ceux-ci et ceux-là. Là aussi, c’est une affaire de principe.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur