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SANS FILTRE

Un film de Ruben Östlund

Attention aux remous !

Carl et Yaya, sont un couple de mannequins en vogue. Elle est également influenceuse. Tous deux se disputent autour de l’addition dans un restaurant, Carl reprochant à Yaya de toujours devoir lui offrir le repas, alors qu’elle gagne beaucoup plus que lui. Après la Fashion Week, ils sont invités sur un yacht, pour une croisière de luxe. Là, ils font la connaissance d’un milliardaire russe et sa femme, d’un roi de l’engrais et sa femme au bras paralysé suite à un AVC, d’un quarantenaire barbu devenu riche, alors que l’équipage tâche de satisfaire les besoins mêmes irraisonnables de certains et que le capitaine refuse de sortir de sa cabine. Mais à l’approche du dîner de gala, une énorme tempête pourrait bien bouleverser l’ordre établi…

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Réel habitué du Festival de Cannes, où il avait déjà présenté "Happy Sweden" (son premier long côté fiction) à Un certain regard et "Play" côté Quinzaine des Réalisateurs, avant de connaître la renommée à Un certain regard grâce au formidable "Snow Therapy", le Suédois Ruben Östlund avait ensuite remporté la palme d’or avec le brillant "The Square". Le voici qui rempile, cinq ans après, avec une seconde Palme d’or et une œuvre acide et brillante. Un brûlot qui fustige autant la marchandisation de la beauté que l’accumulation démesurée d’argent, créant un gap grandissant entre les plus aisés et ceux qui les servent, voire qu’ils exploitent. Naturellement, comme dans les autres films de l’auteur, l’humour noir sera omniprésent et les situations les plus anodines en diront long sur la mentalité des personnages. Et ce nouveau jeu de massacre signé Ruben Östlund trouvera son climax, non pas à la fin du film, mais en plein milieu, permettant à celui-ci de proposer une féroce troisième partie, plus ironique encore.

La scène d'ouverture pose d’emblée la superficialité comme un élément clé du monde actuel, grâce à une incursion dans le monde de la mode, où le cerveau ne semble avoir aucune importance (il faut « être beau et marcher ») et des réseaux sociaux, où tout le monde doit être beau et afficher son bien-être, son Triangle de tristesse (du titre original du film "Triangle of Sadness", la zone située entre les sourcils) relaxé au maximum. Méthodiquement, le grain de sable arrive ensuite, lors d’une scène au restaurant, où se posera la question du rapport de l’individu à l’argent, tout en commençant à explorer celle de la décence liée à celui-ci. Servant de grande introduction, cette première partie voit déjà la tension monter d’un cran, libérant sous des aspects lisses, beaux et opulants, des tensions cachées. On commencera alors à rire jaune, et ce ne sera qu’un début.

Car en effet, le film dispose de trois parties clairement distinctes, visant à décocher des flèches de plus en plus précises sur un capitalisme agonisant. Dans la seconde et la troisième, Ruben Östlund dissèque ainsi à la fois les rapports de classe (ici entre riches et servants) et leurs hypocrisies, l’obscénité et le cynisme des parvenus, tout en n’oubliant pas que tout rapport humain revient finalement à un rapport de force. S’amusant de la relation à l’argent, il se délecte à secouer le shaker dans lequel son monde miniature a été installé (un yacht, avant et après la tempête), n’évitant pas certaines longueurs, notamment dans les parties les plus signifiantes. Reste un brûlot aussi féroce que pessimiste, dépeignant une classe de riches et de parvenus tous plus odieux les uns que les autres, des communistes et servants qui ne valent pas mieux, mais qui ose la surenchère pour mieux marteler son message sur un capitalisme décadent qui ne peut provoquer qu’un réel écœurement pour qui veut encore croire à la démocratie et à l’égalité. Une vraie réussite, où les apparences, du team-building hypocrite au faux élans de générosités, pas plus que les supposés acquis de certains (l’argent ou la beauté), ne sauvera absolument personne.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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