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LE PROPHÈTE

De sublimes fragments pour un récit de la sagesse

Almitra est une petite fille devenue muette suite à la mort de son père, deux ans plus tôt. Sa mère, qui peine à la contrôler, se retrouve face à tout le village accusant sa fille de voler et d’être responsable de multiples catastrophes. Femme de ménage, elle s’occupe chaque jour de la maison d’un prisonnier, un poète assigné à résidence, dont sa fille va faire, malgré elle, la connaissance…

Adapté du livre éponyme du poète libanais Khalil Gibran, vendu à plus de 100 millions d'exemplaires depuis sa première édition en 1923, "Le Prophète" nous conte à la fois une histoire de résistance de l'esprit libre face à l'autorité castratrice, reliant différents textes de l'auteur, livrant des réflexions éclairées sur la liberté, la parenté, le couple, le travail, le rapport à la terre, les racines, ou encore la mort. Offrant une alternative construite aux nombreux recueils de courts-métrages d'animation qui sortent actuellement sur les écrans ("Neige et les Arbres magiques", "Le Voyage de Tom Pouce", "Les Animaux farfelus"...), le film construit sa cohérence autour d'une histoire mettant face à face le penseur libre et un régime d'apparence totalitaire.

C'est Roger Allers, scénariste pour Disney sur "La Belle et la Bête" et "Aladdin" ainsi que réalisateur du "Roi Lion", qui a inventé cette histoire avec des parenthèses plus ou moins enchantées, présentant chacune un univers graphique différent loin du trait fébrile des décors de l'histoire principale. Il est aussi à l’origine de l'étrange choix d'une coupe de cheveux en images de synthèse collée sur la tête de la fillette en 2D. Chacun des huit segments proposés est réalisé par un ou des spécialistes de l'animation dont la renommée n'est plus à faire. Parmi eux, on notera Tomm Moore ("Le Chant de la mer"), Bill Plympton ("Les Amants électriques") ou encore Joann Sfar ("Le Chat du rabbin").

Tous rivalisent de poésie et de beauté, convoquant des styles graphiques très différents, du dessin vibrant et torturé, à de l'aquarelle en 3D, en passant par pastels, crayons de couleur, craie... Les plus réussis ou évocateurs d’entre eux, sont certainement le premier - sur la liberté - représentant un homme-cage et un arbre retenant des oiseaux par des cordages (segment réalisé par Bill Plympton), celui traitant de l'indépendance dans le couple, invitant à un tango filmé au ras du sol, sur une chorégraphie de Découflé (réalisé par Joann Sfar), et surtout la sublime balade en forêt, avec ses décors faits de tâches de peintures transposées en reliefs, traversée par des animaux réduits à des silhouettes noires. Une belle évocation de la bonté et du désir de s'élever.

Série de joyaux de l'animation, reliés par une prenante histoire de liberté d'expression, "Le Prophète" constitue la surprise de cette fin d'année en matière d'animation. Le film, présenté en juin lors de l’ouverture du Festival d'Annecy 2015, devrait trouver son chemin, dans le cœur des adultes comme dans les yeux des enfants. À ne surtout pas rater.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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