OKJA

Un film de Bong Joon-ho

Une fable vegan aussi bouleversante que contestataire

Pour combler le futur manque de nourriture, la Mirando Corp décide de lancer un concours international visant à élever des supers cochons. Durant dix ans, la jeune Mija va ainsi prendre soin de sa bête, nouant un lien fort avec elle. Et lorsqu’on va chercher à la lui reprendre, la gamine sera prête à tout pour sauver celle Okja...

Diffusion sur Netflix à partir du 28 juin 2017

Dire que Netflix a suscité la polémique durant ce soixante-dixième festival de Cannes est proche de l’euphémisme. Nombreux sont ceux montés à la tribune pour décrier la présence du nouveau géant américain. Et les problèmes techniques de la projection (un rideau bloqué et non pas un format de film inadapté au grand écran comme ont voulu le raconter plusieurs articles) ont quasiment fait oublier les raisons de la présence du projet sur la croisette : ses nombreuses qualités. Par un prologue surexcité et cartoonesque, l’excentrique Lucy Mirando (excellente Tilda Swinton) pose les enjeux et les contours de l’intrigue : sa société organise un gigantesque concours d’élevage de supers cochons (ou « porcelets ») afin de lutter contre le manque mondial de nourriture. Derrière cette philanthropie artificielle, se cache en réalité un énorme conglomérat agro-industriel dont les seules motivations sont de généraliser les OGM pour mieux faire exploser leurs actions boursières.

Du côté de sa montagne coréenne, la jeune Mija se fout bien des motifs de l’entreprise américaine, elle qui a grandi avec son cochon Okja, l’a aimé et chéri comme un frère. Et lorsqu’on viendra lui dire que ce Totoro en images de synthèse doit partir aux États-Unis pour finir en jambon, la gamine se lancera dans un périple pour le sauver de cette mort inéluctable. Synthèse de "The Host" pour le côté mélodrame fantastique, et du "Transperceneige" pour sa dimension excessive, "Okja" est surtout une fable hyperbolique poursuivant la thématique chère de son auteur, celle de la noirceur quotidienne de notre monde, cette monstruosité acceptée et tolérée par l’inconscient collectif. Derrière le conte juvénile, se cachent ainsi des velléités bien plus pamphlétaires, une description sordide d’une société étouffée par ses maux, qui empreigne les moindres détails (l’indifférence d’une hôtesse, un selfie, des quidams prompts à aider la police…).

Si le geste satirique de Bong Joon-Ho est appuyé, il n’en est pas moins magnifique, parvenant à mêler l’enfantin à la politique, le subtil au grotesque. Ici, tout est exacerbé, du kitsch de Tilda Swinton à l’excentricité de Jake Gyllenhaal, en passant par les discours du groupuscule écologique. Et les sentiments dégagés en sont alors décuplés. Cette dénonciation de l’ultra-capitalisme et de notre société de consommation ne trouve pas son point d’orgue dans le violence des images d’un abattoir, rupture sombre avec l’univers solaire et artificiel jusque-là exposé, mais dans cette amitié entre une petite fille et son animal de compagnie. Car cette relation déchirante concentre les bons sentiments pour arriver au constat terrifiant qu’il n’y a plus rien à sauver, que le mouvement ne s’inversera pas. Si certains reprocheront au réalisateur de décrier un système dans lequel il aurait vendu sa propre âme (en se faisant distribuer par Netflix), les qualités plastiques et formelles du métrage devraient permettre de réconcilier tout le monde. Félicitations Mister Bong Joon-Ho !

Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur

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