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NERUDA

Un film de Pablo Larraín

L'homme et la légende

Trois ans après la fin de la seconde guerre mondiale, l'écrivain Pablo Neruda, intellectuel engagé devenu sénateur, voit les premières arrestations de syndicalistes et communistes se dérouler, sous la présidence de Gabriel Gonzalez Videla, homme qu'il raille en public et dans ses écrits, l'accusant d'être un traître à la solde des Américains. Ventant la liberté, le poète va prendre la fuite, mettant en scène des indices pour son poursuivant, un flic ambitieux et ambigu...

À peine plus d'un an après la sortie en salles de son percutant "El Club" (Grand Prix du Festival de Berlin 2015), et à quelques semaines de celle de "Jackie", biopic partiel consacré au deuil vécu par Jackie Kennedy (récompensé du Prix de la mise en scène au Festival de Venise 2016), le metteur en scène chilien Pablo Larraín nous offre un nouveau film (découvert entre les deux à la Quinzaine des réalisateurs de Cannes en 2016). Il revient ici à un sujet plus politique, en contant la traque dont fit l'objet le poète-sénateur communiste Pablo Neruda.

Présentant l'homme comme une figure majeure consciente de sa propre importance, mais aussi comme un beau parleur, une grande gueule, un jouisseur et surtout un grand joueur, le film est tout du long accompagné de la voix-off du policier chargé de le retrouver. Ainsi, ce road-movie, riche en détails, nous charrie de planque en planque, alignant plans ratés et imprudences, racontant moins la peur des Neruda que l'inconscience du poète ou l'ambition du personnage du flic et son souhait de passer lui-même à la postérité.

Gael García Bernal, rasé de près, petite moustache en guise d'attribut viril, interprète cet homme en manque de reconnaissance, se rêvant en héros d'une police toute puissante (il clame d'ailleurs fièrement : « Un civil ne m'est jamais supérieur »). Derrière les excès des deux hommes, au-delà d'une mise en scène qui utilise la technique d'incrustation de véhicules sur des images d'époques, le scénario de Pablo Larraín aborde en douceur les illusions du socialisme, les inégalités sociales persistantes, tout en mettant en avant le goût du verbe, sans pour une fois donner dans la pure citation ou la lecture de poésies en voix-off.

Il nous offre au premier abord un triple portrait, celui de deux hommes aux antipodes l'un de l'autre et celui d'un pays en train de massacrer les siens. Mais il nous propose aussi une relecture du mythe d'une figure de la littérature, en interrogeant sur la notion de postérité, l'importance des faire-valoir, et la part de romance dans la construction de toute légende. Une traque stylée qui revêt donc un pertinent second niveau de lecture, sans pour autant bouleverser totalement les codes du biopic.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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