Banniere_11_films_de_separation_Saint_Valentin

MON FRÈRE

Un film de Julien Abraham

Violence ordinaire

Teddy est un jeune homme noir qui arrive en CEF (centre éducatif fermé) en attendant son jugement. Sa mère vit à Amsterdam et son petit frère, chez sa grand-mère. Jeune homme taciturne et mutique, il tient plus du hipster que des jeunes de cité, ultra-violents, auxquels il fait face au centre…

Mon frère 2019 film image

Il est étonnant d’avoir choisi un rappeur pour jouer un personnage mutique, mais MHD s’avère un très bon choix de casting. D’une vraie puissance et d’un jeu intérieur très maîtrisé, le rappeur donne corps au personnage torturé de Teddy. Il accepte également, bien qu’il soit le protagoniste de l’histoire, de ne pas toujours avoir le beau rôle. Son lit est souillé, il se fait mettre des coups de pressions, il est soumis, il pleure et s’effondre sous le poids de son silence.

Dans sa construction et sa manière de traiter les différents membres du cercle fermé qu’est le CEF (d’un côté les jeunes qui testent tout le temps les limites et de l’autre les éducateurs qui tentent tant bien que mal de ne pas se faire écraser), "Mon Frère" fait écho à "Nos Vies Formidables" de Fabienne Godet, sorti en mars. Les alcooliques sont ici remplacés par des jeunes de différentes origines, très violents, sans cesse dans la démonstration et dans l’ego, dans l’hubris, dans le « respect ». Des jeunes avec lesquels tout peut partir en vrille à chaque instant, des jeunes que le groupe n’aide pas vraiment, mais est pourtant nécessaire pour ne pas les isoler encore plus. Des jeunes qui ne savent pas se comporter en société, quelle qu’elle soit, tant ils ont peur. Des enfants de la colère, biberonnés à la haine qu’on a déversée sur eux et qu’ils déversent à leur tour sur le monde pour se protéger. Teddy observe tout cela en silence, car lui n’a pas grandi dans ces milieux-là. La violence n’était pas dehors, mais à l’intérieur, dans la maison, sous-jacente.

L’idée de la boxe thérapeutique est très visuelle. Deux séquences filment ces étranges séances thérapeutiques pleines de violence rentrée. Le casting de la psychologue a été très judicieux. Son visage noir, filmé en gros plans, fait ressortir ses yeux et ses lèvres. Sa face sculpturale est mise en valeur et permet aux jeunes ainsi qu’au spectateur de s’y plonger et de passer dans l’introspection. L’éducateur, qui lui reste sur le côté, est également un très bon choix de casting. Il est en première ligne et c’est un enfant de foyer. Il croit en eux, il pense même qu’ils sont l’avenir de la France, ce qui les fait bien rire. Il est touchant.

La mise en scène de Julien Abraham a l’intelligence de s’adapter à son sujet. Bien que son film soit riche en dialogues, plutôt bien écrits et surtout très réalistes dans leur violence, c’est dans le mouvement des personnages dans le cadre, dans leurs postures et leurs regards, que réside la réalité de ce qui se joue. Le microcosme du CEF est primale, sans rien de péjoratif dans le terme. Le langage essentiel utilisé est celui du corps, de la posture au regard. Il faut en imposer et se faire respecter. Le film reprend ce langage à son compte. Les dialogues sont souvent des bruits de fond, ou des écrans de fumée, c’est le corps qui parle, l’image seule. Ainsi, Julien Abraham va souvent préférer les regards en plans rapprochés avec un gros flous d’arrière-plans, isolant ainsi le personnage et le plongeant dans l’introspection.

"Mon Frère" est donc une agréable surprise, bien tenue et incarnée. Un film certes prévisible et avec une dernière partie qui s’essouffle un peu, mais qui reste assez court pour ne pas lasser, dans lequel les scènes de violence, physiques et psychologiques, sont tout de même assez dures.

Thomas ChapelleEnvoyer un message au rédacteur

BANDE ANNONCE

Laisser un commentaire