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MOI, DANIEL BLAKE

Un film de Kamal K.M., Ken Loach

Une palme d'or revendicative du droit à la dignité

Daniel Blake, dont la femme est décédée, a lui-même été victime d'une attaque cardiaque. Il a fait des démarches pour être reconnu comme invalide. Alors qu'il tente de faire appel d'une première décision de refus, les choses tardent tellement qu'il se voit contraint de chercher à nouveau un emploi, contre l'avis de son médecin. C'est là qu'il fait la connaissance de Rachel, une jeune femme dans la précarité, ayant deux enfants en bas âge...

Ken Loach avait déjà reçu la palme d'Or au Festival de Cannes en 2006 pour « Le vent se lève »), l'un de ses films historiques relatant des combats humains et militants, mêlant grande histoire et histoires intimes, comme il sait si bien le faire (« Jimmy's Hall », « Land and Freedom »). Le jury présidé par George Miller lui aura donc décerné pour « Moi, Daniel Blake » une heureuse seconde palme, pour un film de ces films sociaux aux personnages lumineux et cyniques dont il a le secret (« Raining stones », « My name is Joe »). Un film qui lui permet de dénoncer une nouvelle fois les dérives du système d'assurance chômage britannique, et plus généralement la déshumanisation de l'assistance sociale.

L'auteur nous convie ainsi à plongée dans les méandres d'une administration inhumaine, dans laquelle la performance est non seulement demandée aux allocataires (ils doivent prouver qu'ils ont consacré au moins 35 heures par semaine à chercher un emploi sous peine de pénalité voire de radiation) mais aussi aux employés de l'assurance chômage qui ont eux mêmes des objectifs de sanctions à remplir. L'absurdité et les pressions exercées par un système qui organise l'exclusion plutôt que l'intégration fait froid dans le dos, et le scénario de « Moi, Daniel Blake » emporte à la fois indignation et stupéfaction, au fil des révélations.

Certes le discours de fond n'est pas nouveau, mais Loach, avec son scénariste fétiche Paul Laverty apportent toujours moulte détails qui appuient là où ça fait mal (les difficultés face à l'internet, les attentes calculées pour décourager les ayants-droits, l'humiliation que représente le secours populaire...) tout en usant d'un humour à froid devenu presque le symbole de ce droit à la dignité tant revendiqué par tous leurs personnages. Avec minutie, ils dessinent le portrait d'un homme pris au piège entre son désir de croire encore à la justice d'un système et la tentation due à une fatigue légitime, d'accepter les miettes qu'on lui donne.

Cet homme, veuf, usé, confronté à une lourdeur administrative sans fin, perdu face à un ordinateur, c'est le formidable Dave Johns qui lui donne corps avec fièvre, mais aussi avec un reste de flegme. Personnage poussé à bout par l'injustice qu'il doit supporter comme celle dont il est témoin, il n'en est pas moins combatif, Loach aimant à mettre en valeur autant la volonté que l'humanité de ses personnages. Mais là où ce film se distingue des autres c'est qu'il parvient, par quelques scènes clés, à créer non seulement l'ulcération, mais aussi une profonde émotion. En ce sens là, la bouleversante scène de distribution de vivres met avec pudeur, personnage comme spectateur face à une détresse rarement montrée avec l'écran de manière aussi directe. Une vraie réussite pour un grand Loach.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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