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MICHAEL KOHLHAAS

Un film radical et violent, portrait austère et tourmenté d’un homme droit

Dans les Cévennes du XVIe siècle, un marchand de chevaux est contraint par un noble de s'acquitter d'un droit de passage en laissant en gage deux de ses plus belles bêtes. À son retour, retrouvant les animaux en piteux état, il demande réparation. Mais le seigneur ne l'entend pas de cette oreille, et la situation va s'envenimer...

Après avoir fasciné et dérouté les festivaliers vénitiens en 2008, avec "Parc", thriller psychologique hypnotique et quasi expérimental, le réalisateur français Arnaud Des Pallières, jusque là plutôt confidentiel, s'est retrouvé subitement sous les feux des projecteurs, avec la sélection de son dernier film au Festival de Cannes 2013, en compétition. Repartie bredouille, cette œuvre exigeante et austère n'en a pas moins révélé un auteur minutieux dans ses reconstitutions comme dans son approche des acteurs, qu'il magnifie dans leur présence, au sein d'un environnement rude, que le climat tourmenté rend encore plus hostile.

Dans son Moyen âge empli de dangers, règnent la loi du plus fort et une violence à laquelle les nobles, peu reluisants, sensés protéger leur peuple, s'adonnent avec un plaisir parfois sadique. Si la misère et la crasse dominent, l'âpreté de la vie d'alors transpire dans tous les plans, dans la dureté du labeur, comme le peu d'apparat. Que l'on soit manant, marchand ou noble, la tenue varie dans les tissus et la taille mais reste sans fioritures, et même la robe de la reine est sobre et sombre. L'étreinte des riches sur leurs vassaux, leur influence « hiérarchique » est parfaitement rendue, mais reste sous-tendue ici par une notion de justice, dont ils sont sensés être les premiers garants.

Nouvelle adaptation du roman homonyme d'Heinrich von Kleist, après celle de Volker Schlöndorff en 1969, "Michael Kohlhaas" (prononcer « Michel Colas ») est justement une histoire de justice. Dévoyée par la cupidité, puis prise de force par les armes, pour revenir par la porte d'un « divin » bien limité dans son rapport indirect à l'homme via la royauté, elle est donc questionnable, dans son interprétation humaine, comme dans le désir dont elle est l'objet. Un an après son prix d'interprétation masculine pour "La Chasse" de Thomas Vinterberg, Arnaud Des Pallières offre une nouvelle fois un grand rôle pour Mads Mikkelsen, impressionnant de stature, incarnant toute la droiture et la folie d'un homme bafoué qui réclame son dû et pourrait bien tout perdre.

Choisissant de filmer la plupart des affrontements hors champs, l'auteur signe une œuvre violente et intransigeante, à l'image de son personnage principal. Ancré dans une volonté de réalisme qui en rebutera certains, le film mêle dureté des conditions de vie (absence de lumière, pénibilité des déplacements...), et croyance en une justice absolue, à laquelle tout homme ne saurait échapper, se transformant progressivement en périple vengeur, austère et tourmenté, confrontant son héros à des choix douloureux, mais aussi aux limites de ce qui fait son libre arbitre : une paix sociale qui ne saurait exister, si à la moindre injustice chacun levait une armée et livrait sa propre vendetta. En ces heures où beaucoup de nos concitoyens désespèrent de nos politiques, observant une justice à deux vitesses, ce film vient cruellement nous rappeler que l’œil pour œil, dent pour dent, n'est pas non plus solution, et que toute société a besoin d'un minimum d'institutions, et de règles, mêmes largement imparfaites.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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