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LA LOI DU MARCHÉ

Un film de Stéphane Brizé

Tout est bon dans le Lindon

La cinquantaine passée et après plusieurs mois de chômage, Thierry est épuisé, lessivé par ses entretiens infructueux et ses rendez-vous à Pôle Emploi avec des conseillers qui lui parlent de formations inutiles. Un jour, il trouve un nouveau boulot. Pour autant, sa joie de vivre n’est pas de retour…

Stéphane Brizé aime dresser des portraits élégants de petites gens, pour le meilleur ("Quelques heures de printemps") comme pour le moins bon ("Mademoiselle Chambon"). C’est ainsi, tout naturellement, qu’il a décidé de s’attaquer à la crise économique, mais pas celle des traders ou des grandes firmes internationales. Non, la crise vue par le cinéaste, c’est celle d’un homme avant tout, celle d’un homme ayant perdu son travail suite à la fermeture de son usine, celle d’un homme muré dans un silence qui en dit beaucoup. Pour incarner cet ouvrier à la dérive, Vincent Lindon impressionne une nouvelle fois. Par sa retenue et son charisme, le comédien parvient à transmettre toute la frustration et la rage de son personnage, titillant nos glandes lacrymales par la pureté de son jeu.

Avec ses longs plans séquences et sa maîtrise parfaite des ellipses, "La Loi du marché" est un film cruel et saisissant, car d’un réalisme révoltant. Si le réalisateur avait déjà démontré sa propension à capturer les sentiments amoureux, il réussit ici un tour de force en autopsiant le système capitaliste à travers le regard perdu d’un homme humilié, las des formations inutiles et des stages proposés par Pôle Emploi. Cadrant au plus près ses personnages, le métrage épouse les corps des protagonistes, n’hésitant pas à reléguer Vincent Lindon à l’écart de l’action. Omniprésent, l’acteur n’est jamais invasif, sa carrure trapue s’effaçant dans l’image pour mieux servir le propos.

Avec subtilité et pudeur, Stéphane Brizé parvient ainsi à dépeindre, sans sensationnalisme ou niaiserie, une réalité sociale où chaque euro compte, où l'on se fait virer pour des coupons de réduction. Intelligemment, l’homme brisé devient un bourreau, gardien d’un supermarché où il récite des discours auxquels il ne croit pas pour réprimander des salariés dont il comprend les agissements. Presque comme un documentariste, et lorgnant du côté de Ken Loach et des frères Dardenne, le metteur en scène préfère les silences et les non-dits aux grandes phrases, renforçant alors considérablement la puissance émotionnelle du métrage.

Pas de musique assourdissante, pas de concession, le film est froid et dur, miroir d’un chômage de masse et d’une société où la solidarité s’efface au profit de sa propre survie. Si le film souffre de quelques légers défauts, comme l'apparition d’un enfant handicapé qui semble plus dictée par une volonté de tirer sur la corde du mélodrame que par de véritables velléités scénaristiques, "La Loi du marché" demeure un film coup-de-poing, une œuvre simple mais tellement profonde. Et en prime, pour un ticket de cinéma acheté, vous aurez le droit à une leçon de comédie de la part de l’immense Vincent Lindon. Qui dit mieux ?

Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur

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